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BLOG LITTERAIRE
25 août 2005

De l'invisibilité amoureuse

DE L'INVISIBILITE AMOUREUSE
Notes sur un sonnet de Ronsard

Parfois l'amoureux rêve d'être invisible afin d'être l'invisible voyeur des heures de la bien aimée :

J'ay cent fois désiré & cent encores d'estre
Un invisible esprit, afin de me cacher
Au fond de vôtre coeur, pour l'humeur rechercher
Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre.
                  (Ronsard, Continuation des Amours, XLV)
(1)

Ici, il s'agit plutôt de pénétrer dans le coeur de l'autre, de s'y "cacher", "au fond du coeur", dans ce qui est le plus inaccessible à la conscience, et là d'y être un esprit enquêteur afin de comprendre les causes de la cruauté apparente de l'amante.
Mieux, cette invisibilité permettrait à l'interrogatif d'accéder à la maîtrise des humeurs de la personne aimée :

Si j'estois dedans vous, aumoins je serois maistre,
Maugré vous, de l'humeur qui ne fait qu'empescher
Amour, & si n'auriez nerf, ne poux sous la chair
Que je ne recherchasse afin de vous cognoistre.
(2)

Mais cette annexion du corps d'autrui, cette aliénation, est "pour la bonne cause" : il s'agit de contrôler "l'humeur qui ne fait qu'empescher Amour". Une thérapie amoureuse en quelque sorte doublée d'une chirurgie invisible puisque le possesseur pourrait ainsi recenser et les nerfs et les pulsations, les pulsions à l'oeuvre "sous la chair" du corps désiré, pénétré, possédé.
La fille aimée et cruelle en son apparaître ne serait donc que machinerie nerveuse et impulsive, capricieuse et lunatique comme un appareil mal réglé, et pourtant c'est cet objet critique que l'amant jaloux des jardins et des secrets rêve de posséder corps et âme.

Pour l'heure, il s'agit d'opposer la froideur de l'aimée à la chaleur des sentiments amoureux.
Pas de doute, si l'apparence est froide, c'est que les humeurs constitutives du tempérament sont froides.
Et, comme chacun sait, la femme étant compliquée, il  faut donc bien la connaître, la posséder comme on possède une langue étrangère :

Je sçaurois une à une & voz complexions,
Toutes voz voluntés, & voz conditions,
Et chasserois si bien la froideur de voz venes,

Que les flammes d'Amour vous y allumeriez :
Puis quand je les voirrois de son feu toutes plenes,
Je redeviendrois homme, & lors vous m'aimeriez.

Cependant cette inquisition est inhumaine; elle est le fait d'un "esprit" et non d'un homme de chair et de sang. Aussi Ronsard précise que ce n'est qu'en "redevenant homme", par le retour à l'incarnation humaine, que l'amant peut être aimé de l'autre, ce mystère muet de cruelle apparence.
Bien entendu, le texte est au conditionnel et exprime ainsi un fantasme, une fantaisie de l'auteur.
Reste l'indicatif présent et son interrogation : qu'est-ce donc

Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre [?]

puisque l'autre, cette autre énigme de moi-même, est, par définition, énigmatique.

Notes : (1) Source : Ronsard, Les Amours, GF-Flammarion, 1981, p.175.
             (2) ne poux = ni pouls.

                   Patrice Houzeau
                   Hondeghem, le 25 août 2005

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