Jazz :Cléopâtre de Théodore de Banville
JAZZ : D'APRÈS CLEOPATRE DE THEODORE DE BANVILLE
Et l'idole de jaspe en a les yeux brûlés (Théodore de Banville)
Paraît qu'ça brûle dans la nuit des flammes et des morts des flammes et des cris paraît qu'ça brûle dans la nuit et qu'ça s'plaint et qu'ça s'plaint et qu'ça s'plaint en continu fleuve de cris, fleuve de sang
Paraît qu'il pleure le grand fleuve qu'il chiale toutes ses crues et décrues et tous les commerces, et toutes les pêches qu'il pleure le grand fleuve l'éternité de ses dieux
Paraît qu'ça brûle dans la nuit où se dresse le palais comme un rêve comme un rêve comme un rêve réel réel réel comme un cheval d'effroi qui traverse la nuit dans un grand hennissement
Dans le ciel des faucons invisibles planent
Et les sphinx noirs songent dans la longue avenue pleine de poussière, de sable, de sang et de flammes qui mène au grand palais comme un rêve ensanglanté.
Loin de la ville la blanche lune loin de la ville la blanche lune je la zieute je la regarde qui danse sur un fil invisible ballon d'or aux mains de la trapéziste loin de la ville elle luit, elle brille, la blanche lune et lance aux escaliers qui s'élancent en plein ciel en plein ciel vers les astronomies mystérieuses et lance aux escaliers qui s'élancent en plein ciel sa lumière d'or et de ces coups d'oeil et de ces coups d'oeil vers l'éclat tranchant des divinités cachées Cléopâtre qui dort nue.
Paraît qu'ça brûle dans la nuit où se dresse le palais comme un rêve comme un rêve comme un rêve réel réel réel comme une reine dans la barque des songes dans un grand abandon
Un dieu de jaspe à tête de taureau s'approche
Et les sphinx noirs songent dans la longue avenue pleine de poussière, de sable, de sang et de flammes qui mène au grand palais où comme un rêve Cléopâtre dort nue.
Un dieu de jaspe à tête de taureau se penche et l'éclat de la lune que je zieute, moi que je regarde, moi loin de la ville et l'éclat de la lune tranche le sein nu de Cléopâtre d'un couteau d'or qui ne saigne pas et tous les feux de Cléopâtre et toutes les nuits de Cléopâtre et toutes les flammes, et tous les cris de Cléopâtre et tous les dieux, et tous les fleuves de Cléopâtre jaillissent du corps nu de Cléopâtre, du sein nu de Cléopâtre
Et l'idole de jaspe en a les yeux brûlés et recule et s'enfuit comme s'enfuient les flammes et les morts, les plaintes et les cris et les faucons invisibles du ciel noir je les ai vus moi, s'enfuir dans la nuit de la ville le long du grand fleuve je les ai vus moi, s'enfuir, moi qui n'ai jamais vu Cléopâtre et j'ai vu briller la peau noire des grand sphinx de tous les feux du soleil retrouvé.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 8 octobre 2005
CLEOPATRE
Dans la nuit brûlante où la plainte continue
Du fleuve pleure, avec son grand peuple éternel
De dieux, le palais, rêve effroyable et réel,
Se dresse et les sphinx noirs songent dans l'avenue.
La blanche lune au haut de son ciel parvenue,
Baignant les escaliers élancés en plein ciel,
Baise un lit rose, où dans l'éclat surnaturel
De sa divinité, dort Cléopâtre nue.
Et tandis qu'elle dort, délices et bourreau
Du monde, un dieu de jaspe à tête de taureau
Se penche, et voit son sein où la clarté se pose.
Sur ce sein, tous les feux dans son sang recélés
Étincellent, montrant leur braise ardente et rose,
Et l'idole de jaspe en a les yeux brûlés.
Théodore de Banville, septembre 1865. (cité dans Le Sonnet, anthologie de Dominique Moncond'huy, folioplus classiques, p.86).