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BLOG LITTERAIRE
2 décembre 2005

Notes sur Le Locataire de Simenon

NOTES SUR LE LOCATAIRE DE GEORGES SIMENON
ANTOINETTE ET SYLVIE

L'esquisse d'Antoinette.

    La porte s'ouvrit et Antoinette parut, regarda le nouveau venu dans les yeux. Elle portait une robe en tricot noir qui soulignait tout ce que sa silhouette avait d'inachevé. Les épaules saillaient. Ses petits seins étaient très écartés et les hanches n'étaient pas formées.
    Ses bas tombaient sur ses jambes. Et son maigre visage, piqueté de taches de rousseur, était surmonté d'une toison folle, d'un roux ardent.
     - Eh bien ? Tu ne sais plus dire bonjour ?
     Elle haussa les épaules, renifla la tête de Valesco et murmura :
     - Je n'aime pas les hommes qui se parfument comme des poules.
                          (Georges Simenon, Le Locataire, p. 53-54, folio policier)

Une silhouette inachevée : Antoinette semble bâtie sur quelques traits de crayon : épaules saillantes, "petits seins très écartés", hanches sans relief, bas tombants sur les jambes, visage maigre, "piqueté de taches de rousseur" ; pour les cheveux : "une toison folle, d'un roux ardent".
Antoinette, c'est un dessin, un croquis pris sur le vif ; on pourrait penser à Gus Bofa ou aux jeunes femmes de Georges Wolinski.

Les effets de style sont rares chez Simenon. Aussi l'emploi du verbe "renifler" suivi d'un complément d'objet est éloquent : Antoinette "renifle" la tête de Valesco comme un chien renifle une personne.
Et c'est donc par l'odorat ici qu'Antoinette semble justifier un jugement dépréciatif : "Je n'aime pas les hommes qui se parfument comme des poules."
Autrement dit, Antoinette aurait du goût pour les "vrais hommes", ceux qui ne masquent pas leur odeur de mâle sous des parfums, des eaux de toilette, des savons aromatisés. Cette hypothèse reste à confirmer mais évidemment cette esquisse d'Antoinette nous laisse un sourire aux lèvres.
Et pourtant, Simenon ne passe pas précisément pour un auteur comique.

La volonté de Sylvie.

    - Deux cafés, commanda Sylvie.
    Car désormais c'était elle qui commandait. Cela s'était fait naturellement. Elie, le col du pardessus relevé, regardait le plancher où des lignes courbes étaient dessinées par la sciure de bois. Il vit la jeune femme se lever et il ne se demanda même pas pourquoi. Elle marcha vers un meuble sur lequel des journaux étaient posés, roulés autour de tiges en bois vernis.
                            (Georges Simenon, Le Locataire, p. 45, folio policier)

La femme prend l'initiative et se comporte comme un homme. Elle commande les consommations, décide pour l'homme de ce qu'il va boire, va choisir elle-même un journal qu'elle va d'ailleurs parcourir, à la recherche d'informations essentielles pour l'homme qui semble avoir abdiqué et qui se laisse aller au vertige de la ligne abstraite, du motif sans référent, informations qu'elle va trouver.
En outre, elle utilise l'impératif pour s'adresser à l'homme : "Mets-moi deux morceaux de sucre..." ; "Paie...".
C'est elle aussi qui prend l'inititiative du départ : "Sylvie se leva. Elie la suivit et dans la rue elle commença par s'orienter, se dirigea vers le centre de la ville."

Le Locataire est aussi un roman de femmes, de certaines femmes vues par Simenon. Les deux passages que nous avons cités ici décrivent deux attitudes certes différentes mais qui ont un commun l'affirmation d'une certaine force, une volonté d'afficher la couleur : Antoinette, mal dégrossie est sur la défensive et dit ce qu'elle pense ; Sylvie se fait maîtresse femme face à un homme coupable d'en avoir tué un autre et qui s'est ainsi radicalement démarqué du monde si indifférent, si quotidien, si gris de la prose de Simenon qui met mal à l'aise comme un début de grippe, le soupçon d'une trahison ou encore une journée de travail qui commence par un trajet que l'on est obligé d'effectuer à pied dans le bleu et le froid de la fin novembre.

Patrice Houzeau
Rosendael, le 30 décembre 2005

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Commentaires
A
Tout à fait d'accord avec ce qui précède. Même si la référence avec Harlequin me paraît quelque peu aventureuse : les stéréotypes de Simenon restent du Simenon, et en aucun cas des outils immuables qui induiraient qu'il n'est qu'un faiseur. Il n'est que de relire "Les fiançailles de Mr Hire" ou "Le Chat", parmi les titres qui me viennent à l'esprit, pour s'en persuader. Ou encore "Pedigree" (dont on se demande bien pourquoi il a été écarté de la somme proposée par La Pléiade alors que cette oeuvre est fondatrice de l'ensemble).<br /> Par contre, il y aurait peut-être beaucoup à dire des pages où Simenon se met à "réfléchir". S'il me paraît en effet un "créateur instinctif" quand il raconte, il devient singulièrement consternant quand il "pense" (cf. certains passages de "La fuite de M. Monde" ou même de "Lettre à mon juge" bien que ce dernier roman soit considéré comme "important").<br /> Pour ma part, je pense que le meilleur de Simenon se trouve dans la période Fayard (Voir "La maison du canal", "Le coup de lune", "Le Haut Mal", etc.). Pour la période Gallimard, "L'homme qui regardait passer les trains", "L'assassin", "Le locataire", etc. Pour les Presses de la Cité, relire "La neige était sale", "Le Chat", "La mort d'Auguste", "Novembre", de purs chefs-d'oeuvre à mon sens...<br /> Simenon est d'abord un conteur de génie. Il n'est jamais meilleur que lorsqu'il se borne à raconter.
O
Effets de style ou effet de "non-style"? Simenon ne le veut pas, mais c'est un styliste, voire un "formel": ça ne tient que comme ça.LA multipliction des "effets de réel" est un procédé foutrement efficace! Tout "fait vrai" et, si on analyse, on ne trouve que des clichés (comme dans toute "grande littérature". Dans cre cas ces clichés ce sommebnt "formules " entre autres. Ecrire est aussi un art d'accomoder les restes, les clichés venus d'antan). chasue milieu décrit par Simenon est conforme à l'idée qu'on s'en fait généralement.MAis c'est souvent loin du réel! Quant aux personnages,nils font "vrai", mais sont souvent impossibles.MAis cette psychologie irréelle et faite de poncifs est admirablement mise en oeuvre! <br /> <br /> Simenon est un magicien: A l'aide de portraits ressemblant à des poncifs et pas éloignés des automùatismes d'un Harlequin (dont il avait le rythme d'écriture, mais c'est l'enfance de l'ar), il parvient à créer de la vraie littérature. MAis ne l'appelons pas "réaliste" et surtout, comprenons que son "non-style" en est un!
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