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BLOG LITTERAIRE
9 décembre 2005

Palais du demi-sommeil

PALAIS DU DEMI-SOMMEIL

C'était justement près d'un palais, un fantôme de palais que je distinguai parmi les ombres de ma fatigue. Je me souvins alors d'un vers d' Apollinaire, un vers qui commence un poème :

Je flambe dans le brasier à l'ardeur adorable (1)

Evidemment, le sens érotique de ce vers m'était toujours apparu aussi clair que les seins clairs d'une jolie fille. Ne brûle-t-on pas d'amour ? Mais je m'étonnais un peu d'associer ce vers à la vision d'un palais. Aussi je ne pouvais m'expliquer cette association d'idées que par la clarté que je suppose liée pour moi à l'idée de palais, grande demeure blanche qui prend tout son sens sous le soleil grec des tragédies :

Je connais des palais d'été à l'ardeur adorable (1)
Des corps de femmes jaillissent flammes claires des sables

Les villages lointains sont comme leurs paupières (2)
Et palpitent parmi les roses et les pierres

Me vinrent en mémoire d'autres vers d' Apollinaire qu'aussitôt je convertis en paroles sans autre musique que celle que, faute de science, je ne pouvais écrire mais qui chantait clairement dans ma tête :

Des corps de femmes jaillissent flammes des sables
Et mêlent à la nuit leurs grands yeux adorables
Et palpitent parmi les roses et les pierres
L'amande au long venin mauve de leurs paupières

Puis d'autres vers encore tandis que j'avançais dans le paysage de ma vision et que je remarquai la silhouette d'un homme occupé à cueillir des fruits et qui, à mon approche, sembla me regarder :

Larron des fruits tourne vers moi tes yeux lyriques (3)
J'ai faim de l'abricot et soif de la cerise

Je ne pus alors que penser à la nuit rhénane :

Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter (4)
Et friser les cheveux des filles du palais

A la nuit rhénane durant laquelle le narrateur demande :

Debout chantez plus haut en dansant une ronde
Que je n'entende plus le chant du batelier
Et mettez près de moi toutes les filles blondes
Au regard immobile aux nattes repliées
(4)

L'évocation de ces doux sphinx me plaît, d'autant qu'elles ne sont jamais que les créatures fictives d'un palais rêvé. Dans ce poème d' Apollinaire, il semblerait qu'elles soient les servantes d'une auberge ou les danseuses d'une ronde folklorique. Leurs chevelures se déplièrent, se délièrent et se mirent à pleurer comme le feuillage d'un saule au bord d'un fleuve. Je songeai qu'il fallait que j'écrive ces visions mais ne pouvais bouger, fasciné alors par la nuit du fleuve et l'or des cheveux y tombant.

J'ai faim de l'abricot et soif de la cerise
Et sens grouiller en moi un appétit lyrique
Près du fleuve où les yeux viennent s'y refléter
Et friser les cheveux des filles du palais

Et le fleuve appela le sommeil ; je m'endormis.

Notes :
(1) : Guillaume Apollinaire : Le Brasier (Alcools), cf Je flambe dans le brasier à l'ardeur adorable, vers formidable et très flamboyant sur les braises de l'allitération "r" (brasier, ardeur adorable), ce gémissement de plaisir que l'on entend, bouche ouverte sur un "a" de contentement (brasier à l'ardeur adorable), ce chiasme phonétique (ardeur adorable), ce lieu du phénix et cette nourriture de la salamandre.
(2) : Guillaume Apollinaire : Les Fiançailles (
Alcools)
(3) : Guillaume Apollinaire : Le Larron (Alcools)
(4) : Guillaume Apollinaire : Nuit rhénane (Alcools)

Patrice Houzeau
Rosendael, le 8 décembre 2005

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Commentaires
O
N'oublions pas aussi la connaissance de l'argot d'Apollinaire! Tels fruits ne sont pas innocents!!!! Ce poème est très... direct! Abricot et cerise se trouvent dans le dictionnaire de Bruant, je crois aussi chez Loredan LArchey... Ce coquin d'à poil y nerfs est coutumier du fait!
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