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BLOG LITTERAIRE
3 janvier 2006

Note sur l'ennui pascalien

NOTE SUR L'ENNUI PASCALIEN

    Ennui. - Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.
            Pascal, Pensées, section II, 131, 1670.

De l'utilité du syllogisme.
Trois phrases, un argument.
La vacance totale est insupportable ; on ne peut être "sans qualités". Notons d'ailleurs que cette "absence de passions, d'affaire, de divertissement, d'application" ressemble fort à certains états dépressifs dans lesquels, de fait, on "n'a plus goût à rien", on ne s'intéresse plus à rien et on ne s'amuse plus de rien.
La vacance totale est insupportable car elle souligne la vacuité qui nous caractérise : nous ne servons à rien d'autre qu'à nous-même et à nos semblables, ce qui n'est déjà pas mal, bien entendu mais il  est intéressant de constater que justement, "on n'a plus goût à rien", "on ne s'intéresse plus à rien", "on ne s'amuse plus de rien", le rien désignant jadis une chose (du latin, res, rem : chose) qu'il a fini par engloutir.
Ce soupçon du vide provoque "incontinent" nous dit Pascal, c'est-à-dire dans une immédiateté qui confine à la simultanéité, un mal-être existentiel (cf "du fond de son âme") qu'une accumulation de substantifs tente de définir : "ennui, noirceur, tristesse, chagrin, dépit, désespoir". Bref, tout ce qui constituera le spleen baudelairien, le "malaise dans la civilisation" freudien, la crise existentielle des habitants du vingtième siècle.
Ce fragment pascalien est curieux par l'abondance des énumérations : "sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application", ceci pour désigner le "plein repos", puis pour désigner le vide qu'obstinément nous remplissons de notre petite tragédie-comédie : "son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide". Le néant et le vide encadrent d'ailleurs ces traits caractéristiques des lacunes humaines.
Abondance des énumérations comme si définir le pressentiment du vide ne pouvait se faire que par un trop-plein.
Michel Tournier fit remarquer dans Le Roi des Aulnes que la multiplication des symboles annulait la charge symbolique de chacun des éléments de cette multiplication et conduisait l'univers symbolique où nous croyons décider de nous-même à sa perte et donc à la perte de l'humanité.
"Un roi sans divertissement est un homme plein de misères" écrit aussi Pascal.
Et le personnage principal du roman de Giono de finir dans une explosion tragique, grotesque, universelle et dérisoire.

Patrice Houzeau
Grande-Synthe, le 3 janvier 2006

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