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BLOG LITTERAIRE
7 janvier 2006

NOTES SUR LA ROUTE DES FLANDRES

NOTES SUR LA ROUTE DES FLANDRES DE CLAUDE SIMON
L'INCIPIT
(De "Il tenait une lettre à la main" à "en retard comme toujours pour l'appel du matin")
Edition de référence : Claude Simon, La Route des Flandres, Collection "double", Editions de Minuit. Le texte de Claude Simon figure dans cet article en caractères gras.

La première proposition du récit : la figure du lecteur, anonyme ("il") avec à la main une "lettre", un manuscrit. Un message.

     Il tenait une lettre à la main, il leva les yeux me regarda puis de nouveau la lettre puis de nouveau moi, derrière lui je pouvais voir aller et venir passer les taches rouge acajou ocre des chevaux qu'on menait à l'abreuvoir,

"les taches rouge acajou ocre des chevaux" : L'un des éléments constitutifs du récit est présenté comme un élément pictural. La réalité comme représentation d'elle-même. D'ailleurs, le récit est mis sous le patronage d'un homme qui fut peintre par volonté de comprendre le réel et qui fut aussi inventeur, savant, architecte, créateur : "Je croyais apprendre à vivre, j'apprenais à mourir" (Léonard de Vinci).

la boue était si profonde qu'on enfonçait dedans jusqu'aux chevilles mais je me rappelle que pendant la nuit il avait brusquement gelé et Wack entra dans la chambre portant le café disant Les chiens ont mangé la boue, je n'avais jamais entendu l'expression, il me semblait voir les chiens, des sortes de créatures infernales mythiques leurs gueules bordées de rose leurs dents froides et blanches de loups mâchant la boue noire dans les ténèbres de la nuit,

"Les chiens ont mangé la boue" : Le style direct incrusté dans la phrase, enfoncé dans la boue des mots que remue la phrase dont on sait dès l'incipit qu'elle ne relève pas d'une prose ordinaire mais d'une tentative littéraire originale, d'un rythme inédit (cf la redondance "aller et venir passer", les associations "rouge acajou ocre").
"Les chiens ont mangé la boue" : La phrase prononcée par le personnage de Wack (nom-onomatopée qui semble indiquer une origine imprécise) semble énigmatique comme la première phrase d'un poème de Rimbaud ou de René Char.

"leurs dents froides et blanches de loups mâchant la boue noire dans les ténèbres de la nuit" : Les chiens ne sont pas que des chiens, ces animaux domestiqués mais aussi des loups de même que la "boue noire" renvoie aux "ténèbres" ; la boue n'est pas que la boue ; elle est aussi la matière primordiale, la matière des ténèbres d'où nous venons.

peut-être un souvenir, les chiens dévorants nettoyant faisant place nette : maintenant elle était grise et nous nous tordions les pieds en courant, en retard comme toujours pour l'appel du matin,

"peut-être un souvenir": Le récit se nourrit de souvenirs comme les Chiens mythiques de l'expression se nourrissent de boue. Les Chiens de glace ont gelé le sol et l'écriture du récit fixe le flux mouvant des souvenirs dans l'ordre impeccable de la syntaxe. Comment donc rendre compte de la complexité de ce flux, de cette superpositions de réminiscences, de ce "tissu de mémoire" (Lucien Dällenbach),  - la lettre, les robes des chevaux, la boue molle, la boue dure, Wack, le café du matin, les associations d'idées suscitées par le langage, la boue grise, l'appel du matin -,  autrement que par une organisation de phrases complexes et de propositions s'enchaînant.
Ainsi déjà Proust avait travaillé, A la recherche du Temps perdu.
Et James Joyce avec Ulysse.

Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
le 7 janvier 2006

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