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BLOG LITTERAIRE
21 janvier 2006

NOTES SUR "DUEL AUX CAMELIAS" de Tristan Corbière

NOTES SUR "DUEL AUX CAMELIAS" DE TRISTAN CORBIERE

Le texte du poème de Tristan Corbière figure en caractères gras

Tristan Corbière Les Amours jaunes

DUEL AUX CAMELIAS

Il s’agit d’un sonnet composé en décasyllabes ; les rimes des deux quatrains sont croisées (comme les "fers", les épées des duels), les tercets comportent des rimes suivies ("égorge",  "gorge", "boutonnière", "printanière").

J'ai vu le soleil dur contre les touffes
Ferrailler. - J'ai vu deux fers soleiller,
Deux fers qui faisaient des parades bouffes ;
Des merles en noir regardaient briller.

On notera l’allitération [f] (touffes, ferrailler, fers, faisaient, bouffes) suggérant le croisement des fers du duel. Mais le duel n’est pas le seul thème de cette première strophe : un "soleil dur" s’y manifeste par une lumière aveuglante ou plus exactement "ferraillante" évoquant ainsi le monde des gravures, des illustrations de la presse du XIXème siècle, images en noir et blanc où les traits de plume se croisent, "ferraillent" dans des satires, des assauts qui étaient parfois sources de duels.
D’ailleurs l’image est caricaturale ; ainsi, les "fers font des parades bouffes" comme s’il s’agissait d’une parodie de duel, d'une "ferraillerie" pour la forme, d'une "parade" le mot étant à double sens, désignant le fait de parer un coup mais aussi un défilé, une représentation. 
Les témoins sont présentés sous la forme de « deux merles noirs » qui regardent "briller", soleiller" selon le néologisme créé par Corbière, et les fers et les deux duellistes.

Un monsieur en ligne arrangeait sa manche ;
Blanc, il me semblait un gros camélia ;
Une autre fleur rose était sur la branche,
Rose comme... Et puis un fleuret plia.

Les deux duellistes sont si grotesques que le poète les compare à "de gros camélias".
Le premier vers de ce second quatrain est remarquable par sa simplicité ("un monsieur en ligne arrangeait sa manche") : l’effet de réel est d’autant plus efficace que la comparaison ("il me semblait un gros camélia") semble bouffonne.
Tout est décrit comme s’il n’y avait aucun danger. Il est possible que ce qui est décrit soit un "duel au premier sang" c’est-à-dire que les deux bretteurs se sont préalablement accordés sur la nécessité d’arrêter le duel à la première blessure. Ce qui importe n’étant pas de tuer l’adversaire mais de tenir son rang, être à la hauteur de son honneur.
D’ailleurs, "un fleuret plia" ; on pense au verbe "flirter", c’est-à-dire entamer une petite parade amoureuse allusive et galante, exactement comme si l’on taquinait l’adversaire avec la pointe d’un fleuret ("fleureter", "conter fleurette", cette dernière expression superposant les images des fleurs des champs à celle des fleurets mouchetés.
La disposition des couleurs, les appositions des adjectifs "blanc" et "rose" mis en valeur en début de vers et mis en parallèle, chacun sur sa ligne, comme deux escrimeurs faisant un assaut, la comparaison des duellistes avec de "gros camélias", l’emploi du mot "fleuret" concourent à suggérer la métaphore de la petite danse rituelle de la parade amoureuse ; on dirait bien que les deux bonhommes s’apprêtent à se faire des mamours.

- Je vois rouge... Ah oui ! c'est juste : on s'égorge -
... Un camélia blanc - là - comme Sa gorge...
Un camélia jaune, - ici - tout mâché...

Mais le ton, progressivement, change. Si les deux quatrains se caractérisent par le ton de la moquerie, le premier tercet fait passer l’atmosphère du poème au "rouge" du sang et de témoin qu'il était, le poète semble être maintenant partie prenante de ce duel comme l'indique l'emploi des temps : temps du passé pour les deux quatrains, présent de narration pour le premier tercet, le second tercet étant composé de propositions non verbales.

L’hyperbole (= exagération) "on s’égorge" souligne la tonalité mélancolique de ce duel où il est d’ailleurs question d’une femme :

Un camélia blanc -là- comme Sa gorge...

Notons l’emphatique majuscule de l’adjectif possessif "Sa" et le rythme de la ponctuation qui, tranchant les propositions, semble imiter les attaques et les esquives des fleurets. Les adverbes de lieu "là" et "ici" soulignent cette escrime qui mêle aux fers des armes une symbolique florale assez cocasse : le camélia blanc de la gorge de la femme et le camélia jaune "tout mâché" qui pourrait représenter le poète lui-même comme le montre d'ailleurs "l'Autoportrait" de Corbière qui figure en couverture de l'excellente édition établie, présentée et annotée par Christian Angelet (Livre de Poche, Collection Classiques de Poche, 2003).
Dans ce tercet aussi les couleurs se succèdent ("je vois rouge", "un camélia blanc", "un camélia jaune") faisant de ce duel non plus une passe d’armes mais une sorte de déguisement pour fête florale, un bouquet pour bal masqué ou représentation théâtrale.

Amour mort, tombé de ma boutonnière.
- A moi, plaie ouverte et fleur printanière !
Camélia vivant, de sang panaché !

D'ailleurs, ce n'est pas un homme qui est tué dans ce duel d'opérette, mais "l'amour" lui-même (cf "amour mort") représenté par un camélia tombant de la "boutonnière", c'est-à-dire, symboliquement, du coeur du narrateur.
Pour exprimer cette "mort" d'amour, le poète superpose l'image de la "plaie ouverte", (en argot, la "boutonnière" désigne une blessure et en chirurgie, une "boutonnière" est une petite incision) à celle de la "fleur printanière".

Notons, pour finir, l'ironie du dernier mot de ce poème, "panaché", puisqu'effectivement, un duelliste, amoureux ou pas, ne saurait manquer de panache.

Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
Le 21 janvier 2006

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