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BLOG LITTERAIRE
12 février 2006

Notes sur le poème "Mai" d'Apollinaire

GUILLAUME EN MAI
NOTES SUR LE POÈME MAI DE GUILLAUME APOLLINAIRE

Le poème figure dans le recueil Alcools ; il est le deuxième texte d'une suite de 9 poèmes intitulée Rhénanes.

                MAI

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

Composition : 17 vers, souvent des alexandrins, mais pas toujours, répartis en 4 strophes, la troisième comptant 5 vers au lieu de 4 ; les rimes sont embrassées.

Comme souvent chez Apollinaire, à première lecture, les thèmes abordés dans chacune des strophes semblent plus relever de la rêverie que d'un souci de cohérence du propos. Cependant, cette apparence de poème improvisé au fil du songe, privilégiant ainsi la beauté des images et la musicalité du texte, s'estompe à la relecture et à l'analyse.

Plan :
1ère strophe : Une promenade en barque sur le Rhin.
2ème strophe : Le souvenir de la bien-aimée.
3ème strophe : Tableau descriptif d'une troupe de tziganes le long du fleuve.
4ème strophe : Évocation d'un paysage romantique.

La première strophe : une chanson.

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

"le mai le joli mai" : presque banal, quasi prosaïque, naïf le début de ce premier vers.
L'épithète "joli" est rassurante. Pas de bizarrerie ; c'est simple et familier comme une chanson traditionnelle.
Le rythme confirme la ritournelle :

Le mai / le joli mai / en bar- / -que sur le Rhin /
Des da- / -mes regardaient / du haut / de la montagne /
Vous ê- / -tes si jolies / mais la bar- / -que s'éloigne /
Qui donc / a fait pleurer / les sau- / -les riverains /

Où l'on voit que dans cette première strophe, 7 hémistiches sur 8 reproduisent le rythme 1-2 / 1-2-3-4 /.

C'est donc une chanson traditionnelle qu'évoque le narrateur, tapi qu'il est dans le décompte rythmique des syllabes, et nous qui savons les chansons, nous reconnaissons ces "dames" du second vers, ces hanteuses des histoires en musique, témoins du temps, qui s'en vont ramassant, Parques étranges et familières, cousines ignorées.

Et, comme dans les chansons, on joue sur les mots : "le mai le joli mai" / "vous êtes si jolies mais".

Musique ! Il faut chanter ! Et tant pis si la note est d'amertume dans l'allant de la mélodie :

Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne

Légère auto-dérision du poète qui mesure la distance qui s'accroît entre lui et les dames hautaines, puisqu'elles sont sur le "haut de la montagne". Si jolies, si jolies dames, signes du plaisir pris au printemps, au mois de mai, mais hélas aussi, figures de l'éloignement, visages fugaces du temps qui passe.

Le dernier vers de ce quatrain reprend la tonalité familièrement énigmatique des chansons traditionnelles :

Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Michel Descotes dans son "Parcours de lecture" des Poèmes d'Apollinaire (Bertrand-Lacoste, 1992, p.67) note que "pour Apollinaire, quelle que soit la saison, l'expérience intime détermine le regard et, dès lors, la forme du poème porte la marque de cette vision subjective du monde extérieur, en même temps qu'elle la produit." (Michel Descotes).
Ainsi, la vision des saules pleureurs est-elle, pour le narrateur, personnification de sa mélancolie, de son chagrin.

La deuxième strophe nous renseigne sur la cause de cette mélancolie.
Tout d'abord par une stupeur :

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière

Puis par l'image, la comparaison :

Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

L'évocation des signes du printemps rappelle au narrateur sa bien-aimée.
C'est "verger fleuri", bien sûr, que femme en beauté, mais c'est aussi temps qui passe, épreuve du fugace et les "ongles" tombent comme "pétales" et comme "pétales" se "flétrissent les paupières".
Le temps vieillit. Le temps éloigne.
Le narrateur voit ainsi "celle qu'il a tant aimée" dans les signes du temps qui passe.
Ne reste qu'une chanson et ses répétitions ("les pétales tombés" / "les pétales flétris"), et ses sonorités :

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai

Le narrateur semble alors vouloir concentrer son attention sur le paysage rhénan et l'image de l'absente disparaît de la troisième strophe qui, plus longue d'un vers, marque une rupture avec les quatrains de la chanson que paraît composer le narrateur :

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment

Une seule phrase, lente et longue comme le cours du fleuve, comme "une roulotte traînée par un âne", une période dont le verbe principal occupe le centre (cf 3ème vers) et qui commence par un complément circonstanciel ("sur le chemin") suivi d'un double complément de nom ("du bord du fleuve").
Un rythme lent installé, confirmé par le sens (cf l'adverbe "lentement").
En ce qui concerne les vers 2 et 3, je reprends ici la très claire analyse syntaxique de Michel Descotes (op. cit. p.72) :

"trois sujets juxtaposés, annoncés par le même article indéfini un et qualifiés par un groupe adjectif verbal à la vois passive avec son complément d'agent menés par des tziganes.
Au troisième vers, on retrouve pour le complément d'objet direct la même structure que pour les sujets : nom + adjectif verbal + complément d'agent." (Michel Descotes).

Les vers 4 et 5 sont introduits par la conjonction "tandis que" suivi du verbe de la subordonnée ("s'éloignait") séparé de son sujet ("un air de régiment") par deux compléments circonstanciels ("dans les vignes rhénanes", "sur un fifre lointain").

Ces cinq vers constituent un tableau soigneusement composé comme le montre tout d'abord la structure de la phrase marquée par des parallélismes de construction ; par exemple le vers 1 et le vers 5 de cette strophe :

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
(...)
Sur un fifre lointain un air de régiment

En outre, chacun de ces cinq vers relève du champ lexical de l'éloignement, renforçant ainsi le sens du poème : "sur le chemin", "menés par", "traînée par", "s'éloignait", "lointain". L'évocation des nomades tziganes et la musique de régiment, ce fifre prémonitoire, suggèrent "l'idée d'un entraînement des êtres malgré eux" (Michel Descotes).
Mais si le narrateur avait voulu distraire sa mélancolie par un tableau pittoresque, il s'est trompé et, au contraire, dans la dernière strophe, le retour du motif du "joli mai" est marqué par une persistance de la tristesse qui semble contaminer toute chose :

Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

La chanson, dès lors, relève plus du lied romantique que du chant populaire traditionnel.
Notons ainsi que le rythme du dernier vers du poème est l'exact inverse du rythme du premier :

Le mai / le joli mai / en bar- / -que sur le Rhin / (vers 1)
Et les roseaux / jaseurs / et les fleurs nues / des vignes / (vers 17)

Musique donc mais musique qui, sur le rythme régulier de la barque sur le fleuve, s'éloigne dans les échos des assonances et des allitérations :
- é : mai, paré les, rosiers, les osiers, et les, des
- è + r : lierre, vierge
- eur : jaseurs, fleurs
- i : joli, ruines, lierre, vigne vierge, rosiers, osiers, vignes
- o : joli, rosiers, osiers, roseaux
- r : paré, ruines, lierre, vierge, rosiers, Rhin, bord, roseaux jaseurs, fleurs
- v : vigne vierge, vent, vignes
- z : rosiers, osiers, roseaux jaseurs

Ce qui est ici remarquable, c'est le travail très précis sur la musicalité du vers qui atteint son apogée dans cette dernière strophe et donne à l'ensemble du poème une cohérence rythmique et mélodique, l'apparentant ainsi de façon vraisemblable à une chanson de haute facture.

Patrice Houzeau
Hondeghem contre l'A24
le 12 février 2006   

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Commentaires
P
Oui, je ne dis pas le contraire. Je n'avais pas fait attention à la diérèse du mot "ruines". C'est tout.<br /> <br /> <br /> <br /> Patrice Houzeau
A
dans cet poeme Apollinaire respect au moins quelque règle de versification comme : la mesure du vers , les vers sont en alexandrin !!!!!!!
P
On me signale qu'il y a, je cite, "une diérèse sur le mot ruines, on prononce donc les deux voyelles de façon séparée: ru-ines.<br /> <br /> Le compte final est donc bien de 12 syllabes :)le vers "le mai le joli mai a paré les ruines" est donc bien un alexandrin. Cela m'apprendra à écrire trop vite.<br /> <br /> <br /> <br /> Patrice Houzeau<br /> <br /> le 9 mai 2012
M
En réponse à Patrice Houzeau: il y a une diérèse sur le mot ruines, on prononce donc les deux voyelles de façon séparée: ru-ines. <br /> <br /> Le compte final est donc bien de 12 syllabes :)
P
NON ! Le vers <br /> <br /> "Le mai le joli mai a paré les ruines" n'est pas un alexandrin, le "e" final du mot "ruines" ne compte pas (rime féminine) : il s'agit donc d'un vers de 11 syllabes !<br /> <br /> <br /> <br /> AMICALEMENT<br /> <br /> PATRICE HOUZEAU
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