Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG LITTERAIRE
11 avril 2006

"Das Brot mit den Irren teilen"

"DAS BROT MIT DEN IRREN TEILEN"
Notes sur la poésie de Christine Lavant.

Horch ! das ist die leere Bettlerschale,
halb aus Lehm noch, aber halb schon Stein,
und sie trommelt dir bei jedem Mahle
Hungerlieder zwischen Brot und Wein.

Ecoute ! voici la coupelle vide du mendiant,
à moitié d'argile encor, à moitié de pierre déjà,
qui tambourine pour toi à chaque pas
des chants de faim entre pain et vin.

Ainsi commence le choix de poèmes traduits par Christine et Nils Gascuel pour leur anthologie consacrée à la poétesse Christine Lavant (Les Etoiles de la faim, Orphée La Différence).
Ainsi commence la complainte de Christine, dans le remuement d'un tambour, - "la coupelle vide du mendiant", "die leere Bettlerschale" -, et la petite énigme d'une opposition entre ce qui est encore vif à peu près (l'argile, "Lehm") et ce qui est déjà à peu près mort (la pierre, "Stein").
Ainsi commence la complainte de Christine par l'évocation des "chants de la faim entre pain et vin" ("Hungerlieder zwischen Brot und Wein").

Le pain ! On creva pour ce pain-là !

Les cailloux qu'un pauvre brise ;
Les vieilles pierres d'églises,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises !
    (Arthur Rimbaud, Fêtes de la Faim, vers 11 à 14)

On creva pour ce pain-là ! On s'hallucina ! on s'assassina ! On s'agglutina aux grilles pour ce pain-là ! Le pain des pauvres ou celui des lépreux que l'on marquait d'une croix de farine blanche. Ils allèrent demander du pain et revinrent, les yeux fous, les cheveux collés de sueur avec au bout de leurs piques, les têtes des seigneurs !
Après, comment voulez-vous ne pas recracher l'hostie ?
Ou se faire la compagne des fous :

Ich will das Brot mit den Irren teilen,
täglich ein Stück von dem grossen Ensetzen,
auch die Glocke im Herzen,
    (Les Etoiles de la faim, p.48-49)

Je veux partager le pain des fous,
prendre chaque jour un grand morceau d'horreur
et m'accorder à la cloche de ces coeurs

Evidemment qu'elle aurait pu devenir folle, Christine, elle qui, en 1933, après une tentative de suicide, décide de se faire interner dans un établissement psychiatrique (cf Les Etoiles de la faim, notice biographique, p.120).
Elle l'a donc pris avec les fous,  ce pain et ce "grand morceau d'horreur quotidien" ("täglich ein Stück von dem grossen Entsetzen"), elle qui a vécu au son des cloches sans doute, celles de la foi et celles des heures, indiquées, signalées, et ces cloches encore, fêlées, déraisonnées où elle discerne cependant ce mirage des îles du Nord, vision dans l'eau, bande de sable où viennent crier les oiseaux :

auch die Glocke im Herzen,
dort, wo die Taube nistet
und ihre winzige Zuflucht hat
in der Wildnis über den Wassern.

et m'accorder à la cloche de ces coeurs
où niche une colombe
qui y trouve l'infime refuge
d'un désert au-dessus des eaux
   
(ibid. p.48-49)

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 10 avril 2006

Publicité
Publicité
Commentaires
BLOG LITTERAIRE
Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité