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BLOG LITTERAIRE
12 mai 2006

MAINS VIVES, TÊTES COUPEES, BRASIER ET FEUILLES MORTES

MAINS VIVES, TÊTES COUPÉES, BRASIER ET FEUILLES MORTES
Notes sur le recueil Alcools de Guillaume Apollinaire

Les citations figurent en caractères gras.

Oh ! je ne veux pas que tu sortes
L'automne est plein de mains coupées
Non non ce sont des feuilles mortes
Ce sont les mains des chères mortes
Ce sont tes mains coupées
        (Rhénane d'automne)

Ce qui est vu prend ici un caractère morbide. Les feuilles mortes se confondent avec des mains coupées. On peut nier l'évidence :

Non non ce sont des feuilles mortes

La vision est pourtant confirmée :

Ce sont les mains des chères mortes

Et même précisée :

Ce sont tes mains coupées

D'ailleurs, ce qui est coupé est parfois bien causant :

Dans la plaine ont poussé des flammes
Nos coeurs pendent aux citronniers
Les têtes coupées qui m'acclament
Et les astres qui ont saigné
Ne sont que des têtes de femmes
        (Le Brasier)

L'image est surréaliste : un paysage de plaine et de flammes ; des citronniers où pendent des coeurs ; des têtes coupées qui acclament le narrateur et qui partagent avec les astres une décevante identité féminine comme semble le suggérer le minoratif "ne sont que".
Il ne s'agit pourtant pas d'une hallucination mais plutôt de l'expression onirique d'une énergie vitale voulue, désirée, revendiquée :

J'ai jeté dans le noble feu
Que je transporte et que j'adore
De vives mains et même feu
Ce Passé ces têtes de morts
Flamme je fais ce que tu veux

Le "noble feu", ce serait peut-être bien cette "fontaine narrative" (l'expression est de René Char), cette volonté de créer qui hante le narrateur et qu'il "transporte" et qu'il "adore" et qui se nourrit de "vives mains", de ce qui fut ("ce Passé" "même feu" c'est-à-dire qui fut puisque la forme "feu" est ici une forme ancienne de l'auxiliaire "être"), qui se nourrit aussi de "têtes de morts" c'est-à-dire les visages disparus de ceux que l'on a croisés.
Du reste, on n'a pas le choix, comme le souligne le narrateur :

Flamme je fais ce que tu veux

Et ainsi se tisse la flamme à la flamme, torsadant à la façon d'une chevelure rousse les enjambements des vers de la première strophe du Brasier.

Il arrive aussi que le narrateur apparaisse aussi sous la forme d'un arbre-phénix :

Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles
        (Le Brasier, Descendant des hauteurs où pense la lumière...)

Ce qui détruit semble ici embellir, fortifier, ressusciter, pérenniser.
Il arrive encore que ce qui chute des arbres ne soit pas seulement des "mains coupées" :

Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières
        (Mai)

Autant de signes de ce que le narrateur appelle fort justement sa "saison mentale" puisqu'il est vrai que chacun de nous voit la réalité d'un point de vue particulier et donc, par définition, unique :

Mon Automne éternelle ô ma saison mentale
Les mains des amantes d'antan jonchent ton sol
        (Signe)

Ce qui fut amour existe donc encore sous une forme symbolique, celle des mains.
Au début du recueil Alcools, le poème Le Pont Mirabeau se faisait l'écho d'une espérance amoureuse :

Les mains dans les mains restons face à face
               Tandis que sous
       Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Mais ces mains sont souvent aussi celles des morts que le souvenir et les promesses relient aux vivants :

L'étudiant passa une bague
A l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
        (La Maison des Morts)

Et c'est un cimetière qui devient lieu d'être dans Rhénane d'automne :

Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux
Il éteint les cierges que toujours les enfants rallument
Et les feuilles mortes
Viennent couvrir les morts

Dans les trois extraits que nous venons de citer, la pérennité de ce lien entre les vivants et les morts est exprimée par la volonté de rester "les mains dans les mains" à la façon d'un pont reliant les deux rives du fleuve du temps (Le Pont Mirabeau), la volonté de rester unis au-delà de la mort (La Maison des Morts), la volonté d'entretenir le souvenir malgré le temps qui passe, les feuilles des saisons jonchant les années.

Ainsi peut se comprendre cette idée partout présente dans le recueil Alcools que morts et vivants entretiennent un dialogue permanent, dialogue de l'absent au demeurant, dialogue qui traduit une foi profonde dans la pérennité de l'être au-delà des contingences temporelles, dialogue dont se fait l'écho ce très bref mais très intense poème :

L'ADIEU

J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t-en
Nous ne nous verrons plus terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 11 mai 2006

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Commentaires
O
Ce poème me fait toujours penser 'entre autres et incidemment) à la main coupée offerte par Swinburne à Maupassant, à la folie de Swinburne et cette recontre surprenante que fit Maupassant après l'avoir sauvé de la noyade et l'ambiance résolument malsaine du tout...<br /> <br /> Sauf que chez apollinaire, le morbide est loin!
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