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BLOG LITTERAIRE
23 juillet 2006

EH OUI EN SOI C'EST UN CARNAVAL

EH OUI, EN SOI, C'EST UN CARNAVAL !
Notes sur les deux premières strophes de Soir de Carnaval (Jules Laforgue, Les Complaintes et les premiers poèmes Poésie/Gallimard, p.299).

Première strophe :

Paris chahute au gaz (1). L'horloge comme un glas (2)
Sonne une heure. Chantez ! dansez ! la vie est brève, (3)
Tout est vain (4), - et, là-haut, voyez, la Lune rêve
Aussi froide qu'aux temps où l'Homme n'était pas. (5)

Notes :
1) Rythme binaire. Le chahut est basé sur un rythme binaire. Les chansons populaires souvent le sont aussi. Les marches militaires et les chansons à agiter les jeunes gens le sont de même. Les idées de base qui constituent ce que l'on appelle "l'opinion publique" itou, du neurone 1 au neurone 2 et réciproquement.
(2) Le temps est ainsi désigné comme la rythmique des nécessaires morts quotidiennes qui font l'ordinaire des populations des grandes villes.
(3) Rythme binaire encore.
Evocation de la joie festive et sa justification en trois mots : "la vie est brève". C'est vrai, après tout, autant en profiter et envoyer balader les faces de Carême, les pisse-vinaigre et les gens qui se prennent trop au sérieux. Notons cependant que le narrateur par l'emploi de l'impératif de la deuxième personne du pluriel ("chantez ! dansez !") semble prendre de la distance avec ces festivités carnavalesques, cette fausse chaleur de la lumière artificielle et des masques peinturlurés, ce paravent devant le gouffre.
(4) D'autant plus que "tout est vain" puisque la mort finit toujours par réduire à néant tout ce que nous faisons et qui nous semble si utile.
(5) En-dehors de l'humanité ("l'Homme"), il n'y a rien que l'indifférence, symbolisée ici par la froideur de la lune, l'inhumanité d'une matière atemporelle dans un univers dont on nous dit qu'il est en expansion. Le non-sens gagne donc du terrain sur lui-même (6).
(6) Ce qui constitue une de ces propositions paradoxales dont j'ai le secret.

Seconde strophe :

Ah ! quel destin banal ! Tout miroite et puis passe,
Nous leurrant d'infini par le Vrai, par l'Amour (1) ;
Et nous irons ainsi, jusqu'à ce qu'à son tour
La terre crève aux cieux, sans laisser nulle trace.

Note :
(1) Le champ lexical de l'illusion ("miroite", "leurrant") est ici utilisé pour dénoncer la pseudo-transcendance dont nous nous sommes fait religion et idées fort utiles à bien paraître en société. Cette transcendance pour curé ou fonctionnaire adhérent au parti socialiste est basée sur les leurres du Vrai en-soi et de l'Amour en-soi. Les philosophes ont tué Dieu, n'ont pas voulu tuer la morale et ont prétendu justifier cette clémence par la mise en évidence d'une trinité transcendantale en-soi : le Vrai, le Bien, le Beau, autant d'impératifs qui, effectivement, conditionnent nos choix mais non parce qu'ils seraient en-soi, - c'est-à-dire quelque part et partout dans une matière sans dieu -, mais parce qu'ils relèvent de l'humanité dans ce qu'elle a de plus accompli : le savant, l'homme moral, le créateur. Il ne peut y avoir d'en-soi en-dehors de l'humain. Aucun dieu ne peut survivre à cela.
J'enfonce le clou : cette humanité de l'en-soi connut à Auschwitz sa preuve par l'absurde. C'est en déniant à un peuple entier cette pratique de la transcendance qui consiste à faire le bien, à penser et à créer que les nazis furent amenés à tuer Dieu. La "Solution finale" en planifiant l'extermination du peuple juif condamnait tout dieu à mort et vidait donc la matière de toute prédestination et de tout en-soi.
Cependant, les nazis eux-mêmes ne pouvaient agir que par rapport à une transcendance à laquelle ils ne cessaient de se référer (la supériorité naturelle de la race germanique par exemple). Ce faisant, ils reconnaissaient donc cette humanité de l'en-soi, ce Vrai, ce Bien, ce Beau qu'ils cherchèrent à confisquer à leur profit.
Les idéologues nazis eurent sans doute conscience de cette contradiction structurelle de leur système de pensée et cherchèrent à peupler cette matière ontologiquement indifférente - et donc cette absolue indifférence de la nature au devenir de la race blanche - non d'une présence divine (puisqu'ils venaient de mettre Dieu à mort) mais de principes plus ou moins calqués sur le Bouddhisme : une nature cyclique du temps par exemple dont le projet d'un "Reich pour mille ans" semble être une illustration (1), l'identification d'un projet politique à une téléologie cosmique marquée par une ambivalence du bien et du mal qui conduit tout droit, comme on l'a vu, à l'élimination de tous ceux qui sembleraient relever non de principes maléfiques, - le Diable a été emporté lui aussi dans la chute du Dieu unique -, mais de principes négatifs : les handicapés, les malades mentaux, les peuples et les êtres inférieurs.

Note :
(1) Autre symbole étrange, cette svastika, cette "croix du bien" (du sanskrit "su", bien et de "-asti", qui est) que Michel Tournier dans le Roi des Aulnes compare à une araignée qui dégringole et qui semble en effet une sorte de faux tournoyante en même temps qu'elle représente la roue du temps, l'éternelle renaissance, le principe d'identité d'un temps voué à se répéter.
Les professeurs d'histoire des Collèges disent de cette croix gammée que ce n'est que par pur  souci d'esthétique de la propagande qu'elle fut choisie par les nazis dans le catalogue des symboles des Indes et d'ailleurs. Quand bien même cela serait, il n'en est pas moins certain que les idéologues du nazisme connaissaient l'ensemble des connotations de la svastika et que ce choix témoigne donc d'une vision mystique de l'univers, dont certainement le peuple allemand ignorait tout, mais qui servit efficacement les entreprises ténébreuses des initiateurs de la "Solution finale". 

téléologie (du grec telos, fin et logos, verbe) Système de pensée qui tente d'expliquer l'univers en termes de fins ou de causes finales. L'univers est dès lors apparenté à un projet divin dans les religions monothéïstes ou à une complémentarité conflictuelle entre principes positifs et principes négatifs dans le bouddhisme.
On ne peut identifier le Bien et le Mal des religions monothéïstes aux principes négatifs et positifs des mouvements parareligieux. En effet, le libre-arbitre fait la différence. Un chrétien condamnera une mauvaise action mais jugera que tout homme peut, quand bien même il aurait fait le mal toute sa vie, choisir en fin de compte de faire le bien. Cela s'appelle la rédemption. La croyance en des principes positifs en conflit perpétuel avec des principes négatifs induit à penser en termes d'élimination des porteurs de négativité. La notion de  libre-arbitre est dès lors niée et cette négation pose la première pierre des camps d'extermination.
Robespierre s'est condamné lui-même par la mise en place de la politique de la Terreur révolutionnaire autant que par l'établissement d'un culte de l'Être Suprême qui en se substituant au Dieu des chrétiens niait le principe de libre-arbitre et semblait justifier une politique d'extermination des "ennemis de la Révolution".

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 juillet 2006

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