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BLOG LITTERAIRE
4 décembre 2006

Notes Mélanges Bricoles

NOTES MELANGES BRICOLES

Lucidité de Louis MacNeice - Quatrain à tête d'âne - "Pourquoi moi-même enfin" - Fatum - "que le phénix renaîtrait de ses cendres".

Lucidité de Louis MacNeice

"So they were married - to be the more together -
And found they were never again so much together,
          Divided by the morning tea,
          By the evening paper,
          By children and tradesmen's bills."
(Louis MacNeice, Les Sylphides, in Une voix, Orphée La Différence, p.64)

Ils se marièrent donc pour être davantage ensemble,
Et s'aperçurent qu'ils n'étaient plus jamais autant l'un avec l'autre,
          Séparés par le thé du matin,
          Par le journal du soir,
          Par les enfants et les factures des commerçants.
(Traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

La répétition de l'adverbe "together" rend compte du langage quotidien, de la soumission douce aux contingences de la vie commune. On peut trouver cela amer ; c'est pourtant ce que nous avalons : nos propres couleuvres.

Quatrain à tête d'âne

J'ai mis une tête d'âne dans le piano
Des serpents sifflaient rouge et noir sur ta peau (1)
La lune avait pris pour masque quelque cire jaune
Et le piano déglingué s'est mis à ricaner.

(1) Il faisait froid. Je fis du feu. Dans le ciel noir,
On entendait gronder les géants indociles. (2)

(2) Ce quatrain compte six vers. Comme quoi, il mérite bien son titre.

"Pourquoi moi-même enfin"

"Pourquoi moi-même enfin me déchirant le flanc,
Payer sa folle amour du plus pur de mon sang ?"
(Racine, Iphigénie, Acte IV, Scène 4, vers 1271-1272)

Iphigénie, la fille de Clytemnestre, va être sacrifiée afin que les vents puissent porter la flotte d'Agamemnon jusqu'au rivage de Troie où il s'agit de récupérer Hélène. Ce que dit Clytemnestre, c'est que sacrifier sa fille revient à lui "déchirer le flanc", à elle, sa mère.
Ainsi, le mot "sang" désigne à la fois le sang voulu par le sacrifice et la pureté d'Iphigénie, sang de sa mère, métonymie de l'amour maternel opposé à la "folle amour" d'Hélène pour Pâris.
D'ailleurs, en fin de compte, c'est souvent pour cause de folie amoureuse que finit par couler le sang.

Fatum

Chinatown (1974) de Roman Polanski est une tragédie qui repose sur le sang d'une famille, le "fatum" de l'inceste. Les intrigues qui tirent leur source du sang d'une famille sont vouées à la tragédie tandis que la comédie est tournée vers l'extérieur, ouvre la fenêtre, tend à l'hétérogénéité, au mélange des genre, au mélange des sangs.
Les pièces de Racine sont de terribles huis-clos où l'on se bat pour des palais, des territoires, des empires sur des coeurs. Au cinéma, Le Parrain (1972) de Coppola et le Cléopâtre de Mankiewiecz (1963) aboutissent tous les deux à la même conclusion : quand la loi du plus fort se confond avec la loi du clan, l'épilogue tragique est certain.
Quant aux vampires, - autres victimes du fatum du sang -, ils finissent avec un pieu dans le coeur.
Il est à noter que la réalité dépasse la fiction en ce qui concerne ce fatum moderne qu'est la pandémie du sida : les bouleversements sociaux se nourrissant des drames personnels, le sida ne peut être que ressenti, non seulement comme une catastrophe sanitaire, mais aussi comme une charge tragique, une croix à porter.

"que le phénix renaîtrait de ses cendres"

Dans L'Eclairage du pénitencier de René Char, la strophe commence quatre fois par un octosyllabe :
- "Ta nuit je l'ai voulue si courte"
- "J'ai rêvé d'être à ton côté"
- "Le jour s'est soudain resserré."
- "Je suis l'exclu et le comblé."

Par définition, on est toujours exclu de ce que l'on contemple et l'on ne peut jamais désirer que ce qui réside dans ce "hors-soi" qu'est l'autre.

C'est aussi dans L'Eclairage du pénitencier que "chaque plaie met à la fenêtre ses yeux de phénix éveillé." Ce qui blesse, ce qui, en nous défaisant, nous fait, nous réalise, nous actualise en nous donnant un autre regard. Tant nous restons vivants, et quoiqu'il nous en coûte, nous sommes ces êtres "à la fenêtre", ces éternels renaissants, ces "phénix éveillés", ces veilleurs à l'énigme, ces rêveurs lucides dans ce "pénitencier" qu'est notre existence et à laquelle nous cherchons un sens en cherchant sans cesse un nouvel éclairage.

Louis MacNeice dans Goodbye to London (in Une voix, Orphée La Différence, p.116) nous rappelle ainsi que nous avons longtemps vécu "dans l'espoir que le phénix renaîtrait de ses cendres" puisque c'est ce que La Bonne Nouvelle nous avait promis, que le "phénix renaîtrait", que le Christ reviendrait :

"We endured much litter and apathy hoping
The phoenix would rise, for so they had promised."
(Louis MacNeice)

Nous endurâmes beaucoup de détritus et d'indifférence dans l'espoir
Que le phénix renaîtrait de ses cendres, ainsi l'avaient-ils promis.
(Traduction : Clotilde Castagné-Véziès)

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 4 décembre 2006

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