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BLOG LITTERAIRE
7 décembre 2007

A CROQUER

A CROQUER

Et son oeil attiré par quelques traits colorés, - quelques traits et voilà le croquis fait! -, lui fit tourner les pages du manuel de français qu'il feuilletait en écoutant distraitement la télévision pour retrouver ce bref instant de dessin contrastant avec la patience le long travail de confection et tant de mains et d'habileté pour sortir des ateliers ces vêtements qui se déposeront sans faire un pli sur les longilignes corps des mannequins lors des prestigieux défilés où ces girafes de luxe avec leurs jambes interminables leurs poitrines élégantes - pas trop plates mais en aucun cas trop lourdes, le corps ne devant montrer aucun signe de masse graisseuse - et leurs visages d'anges - dont on disait qu'elles, les mannequins, pour rester si minces, si maigres, si proches du virtuel, si proches d'une idée, se faisaient systématiquement vomir après chaque repas - passeront devant les clients potentiels, la presse spécialisée et les invités de marque, passeront en marchant de cette façon que l'on ne peut imiter sans paraître grotesque, cette démarche à la fois rapide et élégante que l'on imagine aller comme un gant à la petite créature immobile du croquis réalisé tout exprès pour ce manuel de français par Sonia Rykiel et qui présente deux longs traits verticaux noirs et légérement courbes se croisant partant de la jupe striée de lignes colorées et parallèles faites au feutre semble-t-il avec dessus cette jupe un habit léger (tee-shirt? chemisette? pull fin?) laissant nus les avants-bras et les mains cachées dans le dos de la demoiselle au visage légérement penché sur la gauche: visage penché, mains dissimulées, jambes croisées soulignant quelque pose adolescente une brève touche de rouge vif pour la bouche et rouge vif aussi les deux taches assez volumineuses (par rapport à la minceur du corps) des deux boucles d'oreille au-dessous de la petite calligraphie de la chevelure brune parachevant le croquis de telle manière qu'il en semblait tout enjoué comme déposé au bas d'un billet à son amoureux par une étudiante un peu artiste, illustrant ici la page 175 de la nouvelle édition augmentée du manuel Le Français en BEP de Claude Bouthier, Steve Cauche et Laure Vitrac (Nathan, 1997), jeté comme par négligence en marge d'un extrait d'un livre d'Evelyne Sullerot (Droit de regard, 1970, Ed. Denoël), passage où l'auteur (il se rappela alors que dans les médias des années 70 Evelyne Sullerot était présentée comme étant sociologue) dit d'abord que "la mode est un grand mystère" puisque "dans les sociétés traditionnelles, il n'y a pas de mode", le vêtement y étant avant tout un marqueur de fonction et de place dans l'organisation sociale ce qui, selon Evelyne Sullerot, diffère beaucoup de la modernité à laquelle nous prétendons dans cette société post-industrielle que l'on aime à penser "ouverte", c'est-à-dire en perpétuel mouvement, se renouvelant sans cesse et sans cesse appelant à la renaissance comme se renouvellent les modes, ces odes sophistiquées célébrant la magnifique et éphémère danse des papillons et des jeunes femmes dans la lumière du présent.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 décembre 2007

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