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BLOG LITTERAIRE
20 février 2008

"UN CHARME INDEFINISSABLE"

"UN CHARME INDEFINISSABLE"

     "29 oktober
    
Dat onbestemde uur van de dag, wanneer het nog net niet avond is geworden, was hij het liefst. De grauwe huizen verkregen een schmerige charme en de steeds haastig op weg zijnde voorbijgangers vertraagden hun stap om niet uit de toon te vallen tussen de trage, langoureuze schaduwen." (Patrick Bernauw, De witte vrouw, De Boeck, 1997, p. 14)

       "Le 29 octobre
      C'était ce moment imprécis de la journée, juste avant la tombée de la nuit, que je préférais. Les maisons grises prenaient alors un charme indéfinissable ; les passants toujours pressés ralentissaient le pas pour ne pas rompre l'harmonie de ces ombres lentes et langoureuses." (Traduction : A. Vandenbosch, De Boek, p.15)

Ce qui fait le charme d'une phrase, - le mot "charme" est d'ailleurs utilisé dans le texte néerlandais comme dans le texte français -, c'est l'atmosphère qu'elle distille et, lorsqu'il s'agit d'un incipit, d'un début, elle constitue les prémices de l'énigme qu'est tout texte littéraire.
Ainsi, les premières phrases de la nouvelle De witte vrouw (La femme blanche) de Patrick Bernauw illustre ce seuil de l'énigme que toute fiction propose.
Dès les premiers mots, le texte semble proposer un lieu d'être, "ce moment imprécis de la journée" ("Dat onbestemde uur van de dag") qui, soulignant quelque flottement de la conscience, quelque flou dans la marche du temps, semble contredire la précision temporelle : "Le 29 octobre". C'est que, justement, ce flou, ce flottement, n'est possible qu'à la condition qu'il soit ancré dans un emploi du temps, un découpage précis des heures. Ainsi, nous apprenons dès le deuxième paragraphe du texte que le narrateur, à ce "moment imprécis de la journée" est sur son lieu de travail :

"Vanuit het raam van het redactiekantoor van de 'Denderpost', kon ik alleen een paar antieke herenhuizen zien, ..."

"Par la fenêtre de la rédaction du "Courrier de la Dendre", je n'apercevais que quelques anciennes maisons de maître ..."

Toujours est-il que le narrateur, dès ses premiers mots, nous renseigne sur son goût du temps suspendu - ou "flottant" - des heures imprécises d'avant la nuit.
Il lui est cependant difficile de préciser en quoi tient ce goût et, dès lors, l'expression "charme indéfinissable" ("een schmerige charme") lui vient sans doute assez spontanément sous la plume.
"Charme indéfinissable" qu'il rattache immédiatement aux façades des maisons qu'il voit depuis la fenêtre de son bureau.
Lorsque nous pensons aux cités du Nord de l'Europe, il nous vient assez facilement à l'esprit des images d'eaux (fleuves, canaux, lacs, bords de mer), mais aussi des alignements de maisons, hautes, propres, bourgeoises.
Rien de moins hanté que ces paysages là, si rationnels, si pensés par une humanité attentive aux débordements des eaux, aux tempêtes, aux catastrophes naturelles.
Et pourtant, ce sont dans ces pays du Nord (Pays-Bas et Belgique) qu'on travaillé les maîtres des énigmes et des rébus picturaux (Bosch, Breughel) et au XXème siècle Paul Delvaux et René Magritte. C'est là aussi qu'ont écrit Jean Ray, - l'importance du thème de la Maison chez Jean Ray est évidente depuis Malpertuis, mais on le retrouve, ce thème, dans bon nombre de ses contes -, et le fascinant Michel de Ghelderode (dont on ferait bien de remonter quelques pièces, car je le tiens pour un des plus grands parmi les dramaturges qui ont dramaturgé depuis qu'il y a des dramaturgeurs !) ; c'est aussi, ce Nord, l'une des patries du "réalisme magique" (magischer Realismus) dont on peut trouver la marque dans le très beau film Un soir, un train (André Delvaux, 1968).
Et d'ailleurs, dans ce premier paragraphe du récit de Bernauw, il est assez notable que, à ce "moment imprécis", "les passants pressés" - et peut-être aussi pressés de rentrer chez eux - "ralentissaient le pas pour ne pas rompre l'harmonie de ces ombres lentes et langoureuses" ("en de steeds haastig op weg zijnde voorbijgangers vertraagden hun stap om niet uit de toon te vallen tussen de trage, langoureuze schaduwen").
Ce sont donc les "ombres" qui mènent alors le bal ; ce sont elles qui décident du rythme des vivants.
L'énigme, soyons en assurés, ne tardera plus maintenant à déployer quelque arcane, quelques signes...

Patrice Houzeau
Hondeghm, le 20 février 2008

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