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BLOG LITTERAIRE
16 mars 2008

BLACK LADY

BLACK LADY

Le jour où, enfin, il mit la touche finale à cette composition qu’il avait intitulée Black Lady, il fut certain que ce morceau allait remporter un grand succès.
En effet, dès la première répétition, tous les membres du groupe adhérèrent à cette suite serrée d’accords qui, soudain, se fluidifiait, laissant aux cymbales le temps nécessaire pour tracer une piste dans quelque pluie intermittente de guitare électrique, puis de nouveau resserrait son tempo nerveux de blues urbain.
En concert, le morceau fut vite repéré par les amateurs et, bientôt, des voix s’élevèrent dans le public pour réclamer Black Lady si celui-ci n’arrivait pas assez vite.
C’est donc avec gratitude et fierté que le compositeur, derrière son piano, regardait le public puis entamait l’intro de ce Black Lady dans lequel il lui semblait avoir mis tout son art de la mélodie, toute sa science de l’harmonie, et qu’il lui semblait même avoir porté vingt ans peut-être, comme si, dès les débuts de sa carrière de musicien professionnel, il n’avait tant travaillé, tant appris que pour enfin l’écrire, ce blues que d’autres groupes, déjà, inscrivaient à leur répertoire ou, moins scrupuleux, plagiaient plus ou moins adroitement.
Alors qu’une fois de plus il posait les mains sur le clavier pour déclencher les applaudissements du public reconnaissant, il la vit, au premier rang, visage très blanc au-dessus d’une très longue robe noire. Il sourit, pensant que, décidément, Black Lady était en passe de devenir un tube de légende, un morceau assez efficace pour induire, chez certains fans, des comportements un peu étranges.
Ce qui l’inquiéta, ce fut cette présence répétée de la dame en noir. Chaque soir, elle était là, à la même place du premier rang. Il pensa à ces artistes harcelés, blessés, ou même assassinés par des fans déséquilibrés. Mais, lorsqu’il évoqua cette étrange assiduité du visage pâle et de sa robe noire, il n’obtint pour toute réponse que des haussements d’épaules ou des plaisanteries plus ou moins fines.
Lorsque la couleur pourpre de la bouche de l’inconnue commença à hanter son sommeil, il décida de saisir la première occasion pour aborder cette singulière spectatrice.
Le soir suivant, s’étant assuré que les lèvres rouges, le visage pâle et la robe noire étaient bien au rendez-vous, il sortit de scène laissant le reste du groupe plaquer les derniers accords du morceau et ne trouva qu’un fauteuil vide.
Etonné, il leva les yeux pour voir glisser dans l’allée centrale une grande ombre noire vers laquelle il courut. Au moment où il allait la rejoindre, l’ombre se retourna et la photographie prise fortuitement montre distinctement deux grands yeux blancs au milieu d’une zone ténébreuse dans laquelle s’effondrait le musicien.
Il fut enterré quelques jours plus tard, dans la plus stricte intimité.
Le rapport du médecin légiste conclut à une rupture d’anévrisme.
J’ai conservé dans les archives du groupe cette photographie que je n’ai jamais montrée à personne.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 16 mars 2008

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