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BLOG LITTERAIRE
21 mars 2008

IL PLEUT DES CRIS

IL PLEUT DES CRIS

    « Drôle de cabane que ce cube de torchis crevé par la gelée ! Le toit de chaume s’effondre et les dernières pluies ont poussé contre la porte branlante un énorme tas de boue. » (Bernanos, Monsieur Ouine, Presses Pocket p.155)

    Il y a donc de la boue dans cette histoire. De la terre et de l’eau mêlées. Du désastre aussi, du « toit de chaume » qui « s’effondre », une « porte branlante », - vrai ! « Drôle de cabane » en effet, inhabitable, inhospitalière, punching-ball des « dernières pluies ».

    « Elle tourne lentement vers lui des yeux mi-clos. Son mince visage aux traits obliques est comme tiré vers la bouche, en sorte que sa petite tête triangulaire ressemble assez à celle d’un serpent. Steeny s’imagine qu’elle va siffler. » (ibid. p.144)

Evidemment, le « s » fait siffler la phrase. C’est le spectre à Racine qui les fait toutes siffler, les phrases, dès qu’elle se pointe, l’ombre aux cheveux grouillants de la Méduse. Ici, ce ne sont pas les cheveux qui se mettent à siffler, mais le visage lui-même, que Steeny compare à la tête d’un serpent.

« Personne n’eût pu tirer du curé de Fenouille un mot de plus. Et ceux qu’il venait de prononcer étaient déjà bien loin de lui, hors de lui, tandis que son regard, jusqu’alors fixe, semblait échapper tout à coup à sa volonté, sautait d’une extrémité de l’église à l’autre, ainsi qu’une petite bête affolée. » ( ibid. p.196)

Fichtre ! Le Diable serait-il au pays ? En visite à l’église, Sa Majesté des Mouches ? De quoi affoler le regard du curé de Fenouille (amusant tout de même ce féminin de « fenouil » ; c’est qu’il peut être marrant parfois, le Père Bernanos !). En tout cas, le voilà pris de bête, lui aussi, l’homme de la Parole de Dieu dont les mots, soudain, sont « bien loin de lui, hors de lui » et qui semble ne plus pouvoir contrôler son « regard ». C’est-y pas que le Dieu Panique se serait introduit dans son âme ?

« Elle s’est réveillée tristement, avec le bruit de la pluie dans les vitres et cette vague angoisse sous la langue qui donne à la salive un goût fade et miellé. » (ibid. p.126)

La pluie, la drache ! Qu’est-ce que je vous disais tout à l’heure ! Et ça s’rythme, cette pluie du Nord qui colle aux vitres comme la gadoue aux godillots : « Avec le bruit / de la pluie / dans les vitres » ! C’est qu’il tombe des « i », avec des points mis dessus, je vous le dis ! A part ça, ça attriste plutôt qu’autre chose ! De la « vague angoisse » que ça vous file, ou de la bronchite, c’est selon. Pas la peine de vous le faire, le dessin, vous l’imaginez très bien tout seul : une fenêtre qui donne sur une nuit pleine de pluie et le réveil là-dedans, fade, fatigué.

La notation curieuse, c’est tout de même l’épithète « miellé » pour désigner ce « goût fade » de la salive au réveil.

A part ça, il y a aussi les cimetières, et les morts, et les cadavres: Intrusion des morts dans le monde des vivants. Ce qui ne bouge plus, ce qui ne vit plus, ce qui n’est plus conscient, qui ne peut plus juger ni aimer est cependant lourd de conséquences pour le monde des vivants. Cet univers, il le met à vif. C’est là peut-être la grande « ruse des morts » et le projet de bien des vivants : d’une manière ou d’une autre, qu’ils ne soient pas oubliés, que le vivant sente encore le peser, ce poids du corps. Et que cela fasse conscience :

    « Mais aujourd’hui, comme hier, comme toujours, ce n’est qu’un rêve : l’entreprise est téméraire, presque folle, d’introduire un mort au cœur d’une vie déjà si pleine. » (ibid. p.47)

     « Les morts. A ceux-là non plus il ne pense guère, mais dès que la fatalité nous tient, ils accourent de toutes parts, serrés autant qu’un vol de corneilles. » (ibid. p.129)

    « Mais on ne vient pas si facilement à bout de la patience et de la ruse des morts. » (ibid. p.187)

Tout ça dans un monde aussi ordinaire que vous autres, avec les choses bien à leur place et les êtres qui circulent entre :

    « La bouillotte ronfle, les pavés luisent, la pile d’assiettes tremble au passage d’un camion sur la route, tout est à sa place ordinaire. » (ibid. p.137)

    « A cette minute, elle paraissait libre, et pourtant elle ne l’était plus. Pour qui eût pu observer de haut cette scène extraordinaire, le mouvement inconscient de la foule avait dès ce moment le caractère de sollicitude effrayante qui marque la première approche vers sa proie d’un animal affamé. » (ibid. p.205)

Sûr ! L’antithèse est « effrayante » qui évoque la « sollicitude » de la « première approche vers sa proie d’un animal affamé. » Manière de dire qu’il n’y a pas de mal chez l’animal, qu’il n’y a qu’instinct. La foule aussi, cette bête à mille têtes, abandonne peut-être bien sa part d’humanité aux chiens pour se jeter, pleine de sollicitude, sur sa « proie ».

    « La pluie sonna aux vitres. A chaque hoquet de l’évier, une gouttière répond, très loin, par une sorte de cri plaintif, pareil à l’appel du crapaud. Est-ce la gouttière vraiment, ou la girouette, ou quelque corneille pensive, hérissée, tombée du ciel ? Au-dehors, l’immense pulsation de l’averse couvre tout. » (ibid. p.93)

« La pluie sonna aux vitres » : leitmotiv, cette pluie qui rythme le roman.
Et puis la maison s’ouvre sur un paysage que l’on ne voit pas – puisque « l’immense pulsation de l’averse couvre tout » -, que l’on entend, que la phrase nous pousse à écouter : « l’appel du crapaud » ; « quelque corneille pensive, hérissée, tombée du ciel » :  les sons si habituels de « l’évier », de la « gouttière », de la « girouette » deviennent étranges, interprètent une autre partition dans un espace aux limites floues, celles de l’averse.

    « Est-ce le vent sous le chaume, un cri venu du ciel ou les pas dans l’herbe d’un animal inconnu ? D’un geste familier, le braconnier penche un peu la tête en avant, pour mieux entendre… Non ! c’est l’angoisse qui vient de lui sauter au cœur. » (ibid. p.156)

Il tombe donc des cris du ciel. Celui de la « corneille pensive » qui, « tombée du ciel » viendrait se poser sur l’appui de votre fenêtre pour vous balancer des Nevermore pas croyables, ou celui du pas nommé du tout ici qui appelle « l’animal inconnu ». Pourtant, pas en nous qu’il serait plutôt, le bestiau bizarre ; qu’il serait plutôt cette « angoisse qui vient de lui sauter au cœur » aussi sûrement qu’un rat peut vous sauter à la gorge.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 mars 2008

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