ANT!CORPS 7
ANT!CORPS 7
Une fois tournée la mirifique couverture à féerie aux yeux fixes d'une baby doll avec félin de fantaisie sur les genoux, - il s'agit du n°56 du magazine Elegy (livraison de novembre/décembre 2008) -, on trouve une publicité pour des corsets à destination, je présume, des fétichistes et autres nostalgiques de Betty Page. Pourquoi une telle publicité dans un magazine voué à la culture gothique ?
C'est qu'il est vrai que l'iconographie gothique aime à mêler fantasque et érotisme. Ainsi, page 5 du même numéro d'Elegy, on peut contempler une photo d'art dans les tons mauves où, sur fond sans reflet de miroir, une spectrale, de type égérie pour vampire, tend un coeur sanglant au bout d'une main pâle comme le Nord et révèle un sein rond comme la pomme des paradis perdus. Du coup, voilà qu'on nous en donne dans les mirettes du "porno chic", tendance "photo d'art" et sado-masochisme virtuel, de l'"altporn" aussi peut-être (comprenez "porno alternatif" comme si ça se pouvait, ça, du "porno alternatif" alors que la pornographie, c'est jamais que de la marchandisation des corps et des esprits comparable à celle de la force de travail des ouvriers).
Bon, au centre de la page, la marque de ces corsets s'étale en rouge sang légérement baveux :
Faisant suite à la demande de retrait du logo (cf commentaires ci-dessous), j'ai donc, à mon grand regret, enlevé l'objet de ce commentaire qui n'avait d'autre but que d'amuser la galerie.
Ce qui saute aux yeux, c'est la contamination du mot par des signes utilisés pour leur charge symbolique : le point d'exclamation marque la surprise, souligne le caractère potentiellemment choquant de l'usage de tels corsets ; le "o" barré est tout autant un ensemble vide (ensemble vidé des habituelles préventions morales) qu'un panneau d'interdiction (et dont il faut donc s'affranchir si l'on veut être dans le coup), interdiction aussi de l'accès au corps défendu par de tels corsets et cependant présenté, affiché, désirable ; le chiffre 7 renvoie aux péchés capitaux ; la couleur rouge renvoie au désir passionnel mais aussi à la violence sado-maso, celle qu'implique le mot "anticorps" (1) ; les légères bavures d'encre sont là pour faire underground, mais attention, underground sous contrôle, underground pro.
Par antiphrase ("anticorsets"), la marque indique que ces corsets sont autre chose que de simples instruments de maintien du corps ; ce sont aussi des instruments de plaisir, d'abord celui des yeux (sinon pourquoi publier des photos), et aussi les instruments d'un plaisir "interdit", "coupable", celui des fétichistes voués au culte du corps contraint.
Les fétichistes, ou encore les collectionneurs de curiosités, participent de cette marchandisation du potentiel sexuel d'une partie de la population (cette part honteuse du libéralisme économique) qui a pour but de créer des besoins plus ou moins addictifs. C'est ainsi que la vulgarité, le pseudo-chic, la contre-culture elle-même, font l'objet de la création de produits financiers, deviennent des prétextes spéculatifs et assimilent le pouvoir d'achat à cette force de travail louée par les ouvriers de la révolution industrielle, le problème étant qu'aucune marchandisation des addictions ne permet, à elle seule, une croissance destinée à perdurer, comme on le voit actuellement (2008, année noire de la mondialisation de la crise) dans ces pays dont la récente richesse ne reposait en fait que sur l'illusion des marchés, et qui sont maintenant au bord de la faillite.
(1) Le mot "anticorps" renvoyant aussi à cette fièvre du corps attaqué et qui se défend par ses propres moyens, le corps justement, le corps "culpabilisé" de l'individu, opposé ici à la pression de la morale établie, celle du corps social -, présentée implicitement comme ennemie.
Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 novembre 2008