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BLOG LITTERAIRE
18 janvier 2009

SPATIALISATION DE L’ABSENCE

SPATIALISATION DE L’ABSENCE
Notes sur « elle lui parle parce qu’il est mort » de Jean Le Boël (Le paysage immobile, Les Ecrits du Nord, Editions Henry, janvier 2009, p.41)

Le poète Jean Le Boël publie, en ce mois de janvier 2009, aux éditions Henry, un nouveau recueil, Le paysage immobile. Le texte de la page 41 a retenu notre attention :

« parce que » (cf vers 1 : « elle lui parle parce qu’il est mort ») : La mort est cause du discours. Ici, c’est un pronom sans précision de référent, un « elle » bien humble, sans même sa majuscule de début de vers, qui « parle » à un mort, « parce qu’il est mort ». C’est donc que l’être entretient des relations étroites avec le n’être plus, cet euphémisme du néant.

Chanson : Les deux premiers vers commencent par le pronom « elle » ; les deux suivants par la préposition « avec » de telle sorte que ces quatre premiers vers distillent un rythme qui, me semble-t-il, n’est pas sans rappeler le rythme des ballades, des chansons lentes :

« elle lui parle parce qu’il est mort.
   elle lui parle très doucement
   avec d’infinies précautions
   avec tremblements dans la voix »

« un être très faible » (cf vers 5 : « elle lui parle comme à un être très faible ») : L’être, c’est aussi de la très grande faiblesse, de la flamme qui s’éteint, de l’énergie vitale qui s’épuise. De fait, nous passons une partie de notre temps à nous épuiser et à épuiser les autres. L’humanité est une manière d’épuisement de l’être, cependant qu’il est impossible de concevoir l’être sans conscience de l’être. La conscience est ainsi la cause de l’être : « elle lui parle parce qu’il est mort ».

«elle lui pardonne le silence où il s’obstine » (vers 9) : Le n’être plus perdure dans son absence d’être. Le silence est ce qui souligne cet indice de l’être qu’est l’absence. Le silence est dans le poème ce qui se « pardonne » puisque l’on peut pardonner à l’être cette conscience douloureuse que nous en avons cependant que le non-être est ce qui échappe à tout, et donc au pardon.

«pour apprivoiser l’horreur » (vers 11) : C’est ce que nous tentons sans cesse. La lecture des journaux et le spectacle des actualités nous prouvent chaque jour que l’humanité est autant capable d’horreurs que de merveilles. Il est toujours assez étonnant que, malgré les massacres, les charniers, les bombardements d’écoles et d’hôpitaux, les gens continuent à faire confiance à l’hypocrisie politique qui n’est jamais que l’habit d’arlequin de « l’horreur économique ».

« ignorance de cette chose » (cf vers 11-12 : « pour apprendre si peu / dans l’ignorance de cette chose ») : Le mot « chose » semble ici mis pour le mot « être ». Elle parle à ce qui est devenu ce qui est : une « chose / étrange / terrible / violente ». Ce devant quoi toute notre science, toute notre philosophie, toutes nos illusions humanistes restent impuissantes : la violence du n’être plus.

« dans le vide » (cf vers 18 : « elle lui parle dans le vide qui envahit la vie ») : Parler dans le vide, c’est parler sans être écouté. Ainsi, le dernier vers du poème place le « lui » de l’être « mort » dans le « vide » auquel est attribué le potentiel de la relative « qui envahit la vie ». Des trois pronoms du vers 1 n’en restent que deux ; le pronom « il » a disparu :

« elle lui parle parce qu’il est mort » (vers 1)
« elle lui parle dans le vide qui envahit la vie » (vers 18)

C’est donc cette annexion de la vie par le vide, cette spatialisation de l’absence, qui met en œuvre le discours. Le poème aussi. Comme une manière de combattre le vide puisque le texte seul persiste ; « elle » seule reste à « lui parler » alors qu’à la cause (« parce qu’il est mort ») s’est substitué le vide.

Ontologie du coma : La lecture de ce beau texte de Jean Le Boël (dédié à Philippe Jaccottet) peut nous rappeler ces personnes qui parlent à leur proche plongé dans le coma, être entre deux êtres, dans la boîte opaque dont on sait si peu.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 janvier 2009

   

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Commentaires
P
Hello le blog !<br /> Je passe très souvent lire les billets et la je me suis décider à poster un petit message.<br /> Je remarque que les billets sont très bien écrits et enrichissants, c'est un plaisir de vous lire.<br /> Continuez encore le plus longtemps encore !<br /> Une bonne année !
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