PRESENT EXISTENTIEL

PRESENT EXISTENTIEL

1.
En lisant Pascal Quignard, je notai ceci autrefois que je tire sans doute des Ombres errantes : "... pour être roi / que le royaume...".
Examinons ceci que nous avons parfois ce sentiment que pour être roi, il ne nous manque que le royaume. Ce qui peut se dire aussi de la façon suivante : ne nous manquerait-il que le royaume, nous n'en serions pas moins.
L'humain est ce qui se pense mériter. Pour se rappeler à sa condition et se consoler de tant de morts misérables, il a donc inventé Dieu et les bouffons.

2.
"Il y a un monde qui appartient à la rive du Léthé. Cette rive est la mémoire."
(Pascal Quignard, Les Ombres errantes, folio, 4078, p.67)
Parcourus par le Léthé, nous nous souvenons de ce que nous mettons en oeuvre. Nous nous souvenons du présent.

3.
Fort heureusement, nous vivons moins dans l'exactitude de Némésis que dans l'ivresse du Léthé.

4.
Nous rêvons ce que nous mettons en oeuvre : nous sommes ainsi toujours entre deux mondes, celui de nos projets et celui de nos réalisations. Les deux ne coïncident jamais tout à fait. Nous sommes ainsi agités par un présent existentiel qui, jusqu'à ce que le temps nous manque définitivement, passe nos promesses et nous donne l'illusion de la durée.

5.
"C'est le rêve qui sait que personne ne le rêve."
(Quignard, Les Ombres errantes, p.77)
Une définition de la désillusion, de l'humilité, du désenchantement : nous ne sommes que le contenant de nos rêves et ce sac où s'agitent nos fantômes, personne d'autre ne le rêve que nous-mêmes. Accessoirement, nous pouvons être fantasmés ; il ne s'agit pas de nous, mais de ce que l'autre rêveur là-bas rêve de nous. Nous ne sommes pas le rêve d'un Dieu ; nous sommes notre propre rêve. Autrement dit, nous rêvons ce que nous mettons en oeuvre.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 avril 2012