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BLOG LITTERAIRE
2 mai 2012

DU CRIME DES SOEURS PAPIN

DU CRIME DES SOEURS PAPIN

1.
Ceux qui croient que l'on peut passer sa vie sans se faire d'ennemis se mettent le doigt dans l'oeil. Ce ne sont pas les envies de meurtre qui manquent, c'est seulement l'exception des circonstances.

2.
Le crime des soeurs Papin : Le président du tribunal s'adresse aux deux accusées. "Je l'ai "alourdie" (assommée), répond-elle. "Et qu'avez-vous dit à votre soeur Léa, quand elle est descendue ? - Réponse : "Je lui ai dit : "Arrache-lui les yeux" "Et vous Léa, qu'avez-vous fait sur le cadavre de Mlle Lancelin ?" poursuit le président. "Des "encisures", répond-elle." (Frédéric Chauvaud, Le crime des "bonnes", l'Histoire n°342, mai 2009, pp82-87)
Que Christine Papin ait décidé d'arracher les yeux de Madame Lancelin rappelle l'expression "je vais lui arracher les yeux". Arracher les yeux de quelqu'un, c'est l'empêcher de voir, c'est l'empêcher désormais de porter le regard du maître (Madame Lancelin) sur sa servante (Christine Papin).
Le langage des soeurs Papin n'indique pas ici qu'elles soient folles. C'est un français populaire, essentiellement parlé. Il ne fallait pas s'attendre à ce que deux filles sorties de l'orphelinat dès l'âge de 14 ans pour être placées comme bonnes dans un ménage bourgeois parlassent un français châtié. Sans doute, la langue des maîtres s'opposait-elle à la langue des serviteurs : "Une grande distance existait. Léa Papin, âgée de 21 ans, déclare au magistrat instructeur : "Monsieur ne nous parlait jamais"; mais les deux soeurs ne semblent pas s'en plaindre." (Frédéric Chauvaud) Dès lors, la question est légitime de savoir ce que se sont dit Christine Papin et sa patronne. L'aînée des soeurs Papin (Christine, 28 ans) serait allée à la rencontre de Madame Lancelin, annonçant : "Madame, le plomb est encore une fois fondu en repassant comme hier." Autrement dit, quel message est-il réellement passé entre Madame Lancelin et sa servante - "Quels gestes ont été esquissés ? Quels mots ont été prononcés ?" se demande Frédéric Chauvaud - qui ont déclenché le massacre, et ce que l'on peut appeler une fureur meurtrière ("Deux femmes assassinées, coupées, tailladées, les yeux arrachés..", in "rapport du greffier Bouttier" cité par Frédéric Chauvaud) .

5.
La fureur meurtrière est certes ici spectaculaire ("les visages des victimes furent frappés au point de devenir méconnaissables" ; les meurtrières utilisèrent des couteaux et même un marteau). Elle n'est pourtant pas si étonnante. L'humain est capable de la plus grande violence, l'histoire de la justice en fait foi. Il n'y a pas à considérer, parce qu'un crime est particulièrement violent, et qu'il semble tout à fait odieux, que, pour autant, le criminel soit fou. Il se trouve que, dans l'éventail des réactions humaines, la plus grande violence, comme la plus grande tendresse, a sa place.
Ce qui a peut-être étonné dans le cas des soeurs Papin, c'est que, selon les déclarations de leur patron, Monsieur Lancelin, les deux filles étaient des "servantes modèles, donnant entière satisfaction à leurs employeurs depuis le début, les deux soeurs, par ailleurs, sortaient peu, n'avaient pas d'amies, aucune relation masculine - ce qui renforce leur réputation de bonne moralité." (Frédéric Chauvaud). Bref, elles jouaient parfaitement bien leur rôle, se tenaient à leur place, mais c'est un lieu commun que de rappeler que la fonction n'est pas l'homme. D'une certaine manière, les bonnes étaient trop bonnes, se contentant, semble-t-il, de peu et, du reste, ne semblant pas en souffrir : "Si nous avions eu à nous plaindre, nous serions parties !" (propos de Christine Papin cité par Frédéric Chauvaud). Qu'elles aient fini par être prises de colère, de soudaine fureur, jusqu'à en tuer, indique seulement que les humains sont capables de parfaitement rentrer dans un rôle, de se maîtriser pendant des années, et puis soudainement, pour un mot de travers, une vexation de trop, d'éclater, de laisser leur force physique prendre le dessus sur leur habituelle maîtrise d'eux-mêmes et de devenir semblables au chien qui se retourne, sans raison apparente, contre son maître.

4.
Au jugement de Lacan concernant une éventuelle "homosexualité inconsciente" (et alors ?) et une "perversion sadomasochiste" (et alors encore ?) qui auraient amené les soeurs Papin, "dans l'anxiété d'une punition imminente", à massacrer leur patronne et sa fille, je préfère ces paroles d'André Salmon : "Les soeurs Papin ? Deux orphelines tirées de l'orphelinat par une dame et sa fille faisant des deux orphelines deux bonnes à tout faire. Les orphelines ? Complètement abruties par leurs longues années d'orphelinat." Selon Salmon, les deux jeunes femmes auraient longtemps été "accablées de tâches sordides", auraient longtemps supporté la méchanceté de leurs patronnes jusqu'à ce que : "Un soir, comme ces dames revenaient de la promenade, les deux orphelines leur sautèrent sur le poil et leur firent la peau." (cités, Lacan et Salmon, par Frédéric Chauvaud).

5.
A propos du marxisme, j'ai entendu à la radio ceci (je cite de mémoire) : "Il ne peut y avoir de lutte finale, puisqu'après la lutte, il n'y a plus rien." C'est qu'en admettant que la lutte des classes trouve une solution dans une hypothétique lutte finale, ou, plus probablement, dans la fin de la rareté naturelle (et donc la satisfaction de ses besoins vitaux), gageons qu'aux luttes sociales et aux revendications salariales se substitueront conflits individuels, agressivité des consciences, frustrations nées de désirs nouveaux et nécessairement insatisfaits.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 mai 2012

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