Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG LITTERAIRE
3 mai 2012

VISITE AU GRIS SPECTRAL

VISITE AU GRIS SPECTRAL

"L'âne a les oreilles tellement longues
qu'il entend les chaussettes se moquer."
(Laurent Albarracin, Fruits de la gravité, in Ivar Ch'vavar & camarades, Le Jardin ouvrier, 1995-2003, Flammarion, 2008, p.171)

1.
"des bêtes mortes dans des boîtes en carton"
(Ivar Ch'vavar, Hölderlin au mirador, 25, in Ivar Ch'vavar & camarades, op. cit. p.115)

Au retour du printemps, lorsque toute la nature bla bla bla et que les filles se racourcissent les jupes et se changent les yeux, l'usage est de faire chez soi un grand nettoyage - que l'on appelle justement grand nettoyage de printemps -. Alors, il faut s'extirper de l'âme toutes les bêtes mortes qui se sont accumulées, amoncelées, apesanties pendant l'hiver, les mettre dans des boîtes en carton et en faire un grand feu de joie nouvelle.

2.
"Même à l'intérieur de têtes qui résonneraient."
(Stéphane Batsal, L'Equipe de nuit, in Ivar Ch'vavar & camarades, op. cit., p.64)

Pour faire un orchestre de têtes, il faut les choisir bien résonnantes, et bien variées aussi. Des têtes bien cogitantes des philosophes et des physiciens jusqu'aux têtes bien vides des petits chefs de bureau dans de quelconques administrations, en passant par les têtes astucieuses des insolents, les têtes stupéfaites des étonnés, les têtes de turc, les têtes de linotte, les têtes droites des militaires, les têtes penchées des Maries, les têtes cornichonnes des technocrates et les têtes bien pleines des premiers de la classe. Pour les fioritures, prendre des têtes blondes (pour les aigus) et des têtes rousses (pour les graves). On évitera les têtes d'assassin ; elles produisent des dissonances qui vous donnent envie de tuer. Vous commanderez une oeuvre à un compositeur entêté, et vous vous mettrez en tête de créer cette oeuvre dès que possible. Alors, devant les difficultés, vous ne saurez plus où donner de la tête, et quelques unes de vos connaissances se la paieront.

3.
"comme si ça nous travaillait du chapeau"
(Charles Pennequin, Moins ça va, plus ça vient, in Ivar Ch'vavar & camarades, op. cit. p.155)

Quand je sens que je commence à travailler du chapeau, je lui prends la plume dont, par prudence et anticipation, je l'avais orné. Je trempe ma plume dans de l'encre bleue et je trace des lignes, des visages, des yeux et des centaines de petits cercles avec des points dedans.

4.
"Le froid d'une piscine délaissée et sans eau"
(Antoine Boute, Cavales, in Ivar Ch'var & camarades, op. cit. p.354)

Le problème, c'est qu'il faut parfois aller chercher un cadavre dans le fond d'une piscine froide et délaissée sans eau, car les grandes trompes du ciel l'ont toute pompée. Le cadavre est tout gonflé et ça fait vomir.

5.
"I leant upon a coppice gate
       When Frost was spectre-gray,
And Winter's dregs made desolate
       The weakening eye of day."
(Thomas Hardy, The darkling thrush)

"Je m'accoudais à la barrière d'un boqueteau
       Comme le givre était d'un gris spectral
Et comme la lie de l'hiver affligeait
       L'oeil agonisant du jour."
(traduction : Ivar Ch'vavar, La Grive crépusculaire, op. cit. p.355)

Lorsque l'hiver et son orgue à givre sont de retour, et que toute la nature bla bla bla et que les filles mettent des pantalons, il est fort poli d'aller visiter le gris spectral. Certes, vous vous habillerez chaudement, mais l'accueil est, croyez moi, des plus chaleureux. Il vous offrira du vin chaud et un oeil sur le plat. Cet oeil, c'est celui du jour agonisant. Une fois agoni, le gris spectral, de ses longs bras de brume, recueille l'oeil dans un filet à pupilles et le fait frire. Après il vous racontera des histoires de boqueteau. Il faudra faire semblant de les croire.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 mai 2012

Publicité
Publicité
Commentaires
BLOG LITTERAIRE
Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité