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BLOG LITTERAIRE
20 mai 2012

D'UN AUTRE MONDE IV

D'UN AUTRE MONDE IV
(Notes sur La maison des morts de Guillaume Apollinaire)

1.
"Une morte assise sur un banc
Près d'un buisson d'épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles."
(Apollinaire, La maison des morts)

2.
Le retour à la vie est marqué par les couleurs vives de l'épine-vinette, à fleurs jaunes et baies rouges.

3.
Celle qui est revenue à la vie reprend ses privilèges de vivante et décide donc, puisque tel est son bon plaisir, de laisser l'étudiant lui parler de fiançailles. C'est ainsi qu'elle en vient à parler de l'avenir avec celui qui apprend comment il gagnera sa vie.

4.
"Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s'il le faut
Votre volonté sera la mienne

Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte"
(Apollinaire, La maison des morts)

5.
L'étudiant et la revenante s'échangent promesses courtoises et serments d'amour. Les temps sont cependant différents : le vif ne peut guère promettre qu'une patience de dix ans vingt ans s'il le faut cependant que la morte a tout le temps des vifs, d'où son complice et ironique "Je vous attendrai / Toute votre vie" puisque l'étudiant finira un jour cet exercice de vivre à multiples problèmes dont quelques uns sans solution.

6.
"Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l'humanité"
(Apollinaire, La maison des morts)

7.
Les enfants - une promesse aussi - chantent des rondes, des comptines, de ces chansons anonymes qui, en français, sont pleines de souris vertes, de poules sur des murs, de capucines, de tabatières, de fils du roi chassant, de canards dans l'étang, de paysages avec des morts et des mortes dedans et trois dames s'en vont les ramassant.

8.
L'auteur intervient dans cette strophe pour porter un jugement lttéraire sur ces "rondes / Aux paroles absurdes et lyriques / Qui sans doute sont les restes / Des plus anciens monuments poétiques / De l'humanité". Apollinaire renvoie ainsi la ronde non pas à la Renaissance, ni au Moyen-Âge, mais au temps d'avant le temps.

9.
Comme l'ours qui a appris à danser sur les braises, à l'apparition d'une fée, il fait sa petite danse d'ours. Hélas, comme il grogne aussi, la fée tourne les talons, pas contente, el le traitant d'oiseau.

10.
Pourquoi cette ronde au milieu des échanges amoureux entre la morte et l'étudiant ? Peut-être, par analogie et ironie, le serment amoureux n'est-il qu'une comptine, et l'amour aussi absurde et lyrique qu'une chanson anonyme, qui revient toujours, de siècle en siècle, de jour en jour.

11.
La ronde joue aussi un rôle d'intermède musical puisque La maison des morts s'apparente à une suite de brèves pièces où l'on siffle, où l'on parle, où l'on chante, où l'on joue de la cithare et où l'on danse.

12.
"L'étudiant passa une bague
A l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous aurons une belle noce
Des touffes de myrte
A nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l'église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique"
(Apollinaire, La maison des morts)

13.
Le narrateur revient à l'étudiant qui, de fait, se fiance à la jeune morte. Drôles de fiançailles avant la séparation. On dirait ces fiançailles où le promis va partir à la guerre et peut-être n'en pas revenir.

14.
"C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. - La jeune maman trépassée descend le perron."
(Rimbaud, Enfance, II)

15.
Les paroles de l'étudiant sont pleines d'espérance et de promesses de belles noces, du toujours vert des touffes de myrte, du toujours vert à petites fleurs blanches - symbolisant ici la persistance de l'espérance -, promesse de belles paroles à l'église et au banquet, promesse de patience, et, bien sûr, de musique, puisque cette histoire est musique.

16.
"Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas ! la bague était brisée
Que s'ils étaient d'argent ou d'or
D'émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l'aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas ! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d'éclore
Que le thym la rose ou qu'un brin
De lavande ou de romarin"
(Apollinaire, La maison des morts)

17.
Si l'étudiant promet, la fiancée chante. Si l'étudiant promet une belle noce, la fiancée rime en octosyllabes un temps merveilleux "aux enfants plus beaux encore que s'ils étaient d'argent ou d'or, plus clairs encore que les astres du firmament, et d'une odeur meilleure que le lilas qui vient d'éclore". Autrement dit, de la victoire sur la mort ne peut advenir que beauté, lumière, odeur miraculeuse.

18.
La jeune morte est devenue fiancée. C'est déjà miracle. Elle promet la sainteté. Elle en fait chanson. Cependant, le refrain dénonce les couplets : Hélas ! la bague était brisée.
Le symbole de cette alliance inédite est ainsi altéré. Que l'attribut "brisée" rime avec la fiancée et le fiancé a pour effet de rompre déjà le serment, de jeter une ombre mortelle sur cet amour promis. La chanson est maudite.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 mai 2012

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