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BLOG LITTERAIRE
22 mai 2012

LA VIE HUMBLE

LA VIE HUMBLE
(Notes sur la pièce VIII du livre I de Sagesse, recueil de Verlaine)

1.
"La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d'amour,
Rester gai quand le jour, triste, succède au jour,
Être fort, et s'user en circonstances viles,"
(Verlaine, Sagesse, Livre I, pièce VIII)

2.
"La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles", si elle est humble - nous ne sommes pas puissants - et ennuyeuse - ah oui, alors ! - n'est pas si facile : il y faut de l'endurance, de la persistance, de la volonté, et surtout cet ennui d'être avec les autres, ces êtres étonnants qui croient en des choses aussi vaines que l'amour, l'amitié, et tout ce qui en général conforte la bonne conscience et ne se prouve que quand on en a besoin : ça arrive, c'est pas si courant.

3.
Que cette vie humble etc... soit une oeuvre de choix, voilà qui est vrai, puisqu'en fin de compte on fait le choix de vivre une vie humble ou pas. Qu'elle demande beaucoup d'amour, cela est vrai aussi sans doute, celui des parents pour leurs enfants, l'amour mutuel des ensembles pour un bout de temps, celui du maître pour ses chats, ses chiens, et tout ce qu'il faut d'amour pour accepter. Dans le champ du social, on ne parle pas d'amour, on parle d'empathie : il s'agit d'être aimable avec les gens qui travaillent avec vous. Bien souvent, c'est par pure politique que nous nous montrons aimables cependant que nos pensées sont pleines de poignards.

4.
"Rester gai" ? C'est une question de tempérament. Y en a qui l'ont pas gai, le tempérament, qui remarquent le cadavre dans tout ce qui vit. Du coup, comédie de cadavres, là, sous leurs yeux, avec tout ce qui se trame, s'amuse, travaille, projette, danse des spectres et guignolade, salsifriterie funèbre, errances relationnelles, circonstances ridicules, hasards bricolés, course à l'échalote, aux honneurs, aux reconnaissances crétines, usines à gaz, bal des zozos, pourvu qu'il y ait des sous parce qu'avec les sous, on peut beaucoup, et même épouver de l'empathie, quel luxe ! Mais foin de ces pisse-vinaigre ! Faut être heureux quand même ! Faut avoir la politesse d'être heureux ! Pas si facile non plus. Allez demander aux gens de Nancy et des environs qui se sont pris de l'eau du ciel plein la rue, la cave et la cuisine, si c'est facile de la garder, sa gaieté...

5.
A défaut de gaieté, soyons fort ! C'est là, après tout ce qu'on demande à un homme, de faire face. Là, non plus, ce n'est pas si facile. Question d'éducation, de tempérament, de volonté. C'est que les jours sont tristes et les circonstances viles. Aussi faut-il tenter de faire de cette tristesse une gaieté et de cette vilenie une noblesse. Vraiment pas facile !

6.
"N'entendre, n'écouter aux bruits des grandes villes
Que l'appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour,
Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour
L'accomplissement vil de tâches puériles,"
(Verlaine, Sagesse, Livre I, Pièce VIII)

7.
Dans ce second quatrain, ce qui importe au narrateur, c'est de souligner, au milieu de la multitude des bruits des grandes villes, l'importance de l'appel des cloches de l'Eglise, qu'il assimile à l'appel de Dieu (cf ô mon Dieu). C'est que nous sommes des êtres sonores, des êtres que l'on appelle, que l'on rappelle, qui s'interpellent, s'interjectent, s'invectivent parfois, et l'on sait bien que pour marquer son désaccord avec l'attitude de quelqu'un, ou sa déception, on reste silencieux devant lui. Soyons humble, nous suggère le narrateur, puisque, après tout, nous ne sommes qu'un de ces "bruits" dans la ville, dérisoire, éphémère, lié aux "circonstances viles" et à "l'accomplissement vil de tâches puériles".

8.
La répétition de l'adjectif "vil", son écho au vers 8 ("vil" / "puériles") souligne la trivialité des travaux et des jours, et même une certaine puérilité dans l'accomplissement de certaine tâches. Il suffit pour cela de considérer les raisons pour lesquelles, chez nous comme au travail, nous nous emportons. Franchement, parfois, nous exagérons, et celui qui écrit ces lignes sait bien ce qu'exagérer veut dire, lui qui a tant fait pour se planter avec une régularité de métronome envoûté.
- "Pourquoi "envoûté", Monsieur Houzeau ?
- Parce que j'ai l'impression que ça ne s'arrête jamais."

9.
"Dormir chez les pécheurs étant un pénitent,
N'aimer que le silence et converser pourtant ;
Le temps si long dans la patience si grande,"
(Verlaine, Sagesse, Livre I, pièce VIII)

10.
J'aime beaucoup ces trois vers pour leur simplicité et la vérité qu'ils expriment. Je sais bien que la poésie n'est pas affaire de vérité, qu'elle est affaire de style - cette vérité de la langue - mais il est que, parfois, certains vers font écho à ce peu que nous persistons à être. C'est ainsi que n'aimant que le silence, nous nous surprenons toujours à pérorer, à discuter, à échanger de vains propos avec des gens qui ne nous sont rien. La politesse, certes, mais pas toujours, il y a aussi chez nous souvent un goût du potin que je m'excuse de plus en plus difficilement. C'est ainsi que j'ai longtemps approuvé ce chanteur lyrique avec qui j'avais jadis monté un projet et à qui, après la représentation, j'avais proposé d'aller boire un verre. "- Pour quoi faire ?" m'a-t-il répondu. Il a bien fait. Nous sommes quand même allés boire un verre, parce que ça se fait.

11.
"Le temps si long dans la patience si grande" : Comme j'aime ce vers, qui exprime bien, je pense, l'impression d'avoir attendu une bonne partie de sa vie quelque chose qui ne nous arrive jamais. Les impatients apprécieront, eux qui trouvent le temps si long qu'ils en viennent à rompre trop vite la patience promise.

12.
"Le scrupule naïf aux repentirs têtus,
Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus !
- Fi, dit l'Ange gardien, de l'orgueil qui marchande !"
(Verlaine, Sagesse, Livre I, pièce VIII)

13.
C'est par un rappel du péché qu'il y a à se montrer orgueilleux que se termine le sonnet. C'est qu'on a beau jeu de dire que l'on n'aime que le silence cependant que l'on bavarde, de dire que notre patience est grande alors que nous nous emportons, d'avoir des scrupules pour des queues de cerise et s'en faire de vains repentirs, soigner ses petites vertus comme si c'étaient des fleurs rares, bref, se croire singulier au milieu des autres singularités.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 mai 2012

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