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BLOG LITTERAIRE
22 mai 2012

DES HUMORISTES

DES HUMORISTES

A propos du rôle des humoristes contemporains dans la société française actuelle, ce jugement de François L'Yvonnet :
"Tout est noyé dans l'esclaffement, si bien que tout ce qui se dit de sérieux semble tout aussi dérisoire que la dérision qui vient d'en être produite. La capacité à répondre du tac au tac, au bon mot par le bon mot est érigée comme une valeur suprême."
(François L'Yvonnet, propos recueilli par Hélène Delye, Le Monde mensuel, n°28, mai 2012, p.105)

La dérision a pour but de désamorcer l'esprit de sérieux, de rappeler combien nous pouvons nous montrer présomptueux alors que nous ne sommes souvent qu'impuissance et ignorance. Certains peuvent considérer que la dérision n'est pas loin d'avoir atteint son but, d'avoir réussi à noyer le mérou, d'avoir discrédité le cuistre et le charlatan. Il suffit pour cela de considérer combien notre époque audio-visuelle regorge d'humoristes (comédiens, auteurs, animateurs, imitateurs, performers des plus divers) et combien d'invités aux émissions les plus diverses semblent avoir fait les frais de quelques remarques plus ou moins impertinentes. Et sans doute cette dérision généralisée finit-elle par s'apparenter elle-même à une nouvelle espèce d'esprit de sérieux. Aussi se fait-elle facilement normative, et se base sur des valeurs qu'elle tend à considérer comme indiscutables (la défense des minorités, un communautarisme latent, la défense des libertés individuelles, la libéralisation des moeurs, etc...). En cela, la dérision semble parfois clore abruptement le débat et servir d'ersatz d'argumentation sur des sujets qui exigeraient un questionnement autrement plus approfondi.
On peut, sans crainte de se tromper beaucoup, considérer qu'une bonne partie des humoristes actuels se réfèrent plus ou moins implicitement à un discours progressiste, de centre gauche, largement tempéré par les lois du marché, les nécessités du marketing et l'industrialisation du comique. Il en est probablement des diseurs de textes drôles actuels comme des chanteurs dits "pop" de jadis. Se réclamant de l'héritage du blues, voire du jazz, prônant l'expérimentation, l'innovation et une plus grande liberté de ton, beaucoup d'entre eux ont cependant basculé dans le produit aseptisé, la musique de consommation courante, la fausse audace, voire l'escroquerie intellectuelle. C'est que ventre fait loi. L'industrie du divertissement crèe des emplois. J'ai même le sentiment qu'en matière de comiques, l'offre commence à excéder la demande et l'on peut se demander si tous ces jeunes talents, dont le grand public n'apprend souvent l'existence que par les deux trois vannes qu'ils viennent chacun leur tour balancer au Grand Journal de Canal +, gagnent si correctement que ça leur vie. Il y eut une mode du hip-hop, du rap, du slam, il y a maintenant une mode de la moquerie. Remontons plus loin dans le temps : il y eut aussi une mode du "nouveau roman", de la "nouvelle vague", du "nouveau philosophe" (cette dernière expression étant particulièrement grotesque puisque le propre d'un texte philosophique est d'être toujours nouveau, eût-il été composé dans l'Antiquité), il y a maintenant une mode du "nouveau comique" : plus jeune, voire précoce, issu parfois d'une minorité (Jamel Debbouze ; Gad Elmaleh), plus décontracté, désinvolte même, improvisateur, cool et, par hyperbole, délirant. La société du spectacle recycle ainsi ses valeurs : aussi, bien évidemment, beaucoup de ces comiques sont bien inoffensifs : ils sont loin de l'insolence de Guy Bedos et de Thierry Le Luron, loin du sens de l'absurde de Pierre Dac ou de Pierre Desproges, de la hargne de Coluche et de la poésie de Raymond Devos.
Pourtant, s'il est vrai que l'on peut parfois être agacé par cette drôlerie à tout prix, à tout moment et à tout sujet - de telle sorte que l'on en arrive à penser que puisque tout est prétexte à dérision, plus rien ne peut être pris au sérieux - cette mode du comique a permis l'éclosion de talents réels (Jamel Debbouze, Gad Elmaleh, Danny Boon, Alexandre Astier et l'excellente série Kaamelot ; François Morel ; François Rollin dont le sens du non-sens fait souvent mouche, et tant d'autres). Peut-être même n'y a-t-il pas tellement plus de comiques aujourd'hui qu'il y en eut autrefois, mais sans doute le ton a-t-il changé et ce n'est pas tant la dérision qui nous dérange que ce qu'elle masque : l'absence de débat et un relativisme culturel persistant.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 mai 2012

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Commentaires
B
C'est bien, ici.
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