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BLOG LITTERAIRE
9 juin 2012

DATA FATA SECUTUS

DATA FATA SECUTUS
En feuilletant Victor Hugo

1.
"Où sont-ils? Mère, frère, à son tour chacun sombre.
Je saigne et vous saignez. Mêmes douleurs ! même ombre !
             O jours trop tôt décrus !
Ils vont se marier ; faites venir un prêtre ;
Qu'il revienne ! ils sont morts. Et, le temps d'apparaître,
             Les voilà disparus."
(Victor Hugo, Les Contemplations, A Mademoiselle Louis B.)

Faire en sorte de ne pas nourrir ce rapport panique au temps qui constitue le fond de notre être, voilà tout l'effort de la vie sociale : masquer ce "temps d'apparaître, les voilà disparus." Plus que masquer, l'ensevelir sous une succession de gestes et d'actes qui pont pour but de ne pas laisser le sentiment panique du temps envahir l'ordre de nos jours.

2.
"La fosse, plaie au flanc de la terre, est ouverte,
Et, béante, elle fait frissonner l'herbe verte
             Et le buisson jauni ;
Elle est là, froide, calme, étroite, inanimée,
Et l'âme en voit sortir, ainsi qu'une fumée,
             L'ombre de l'infini."
(Les Contemplations, Pleurs dans la nuit, VIII)

Que l'infini ait une ombre, en voilà du mystère. Qu'est-ce que c'est que ce phénomène de la plaie ouverte qui fait frissonner l'herbe verte et le buisson jauni, qu'est-ce que c'est que cette béance d'où sort on ne sait quoi, un ectoplasme, la fumée d'un feu d'ailleurs, le souffle d'un dragon, cette ombre qui fait planer comme une menace d'infini, ce trou noir où fini et infini n'ont plus de sens.

3.
"De ne point faire un pas qui n'ait trace dans l'histoire"
(Les Feuilles d'automne, XIII)
Mais si l'on songe que nous ne marchons jamais que sur du gouffre, cela, aussi évidemment que le soleil va s'éteindre et le plus joli sourire finir en poudre, cela relativise.

4.
"Et l'on dit que les vents suspendent leurs haleines"
(Les Orientales, Grenade)
C'est que l'air est plein de bouches, de gueules de poissons invisibles qui s'ouvrent et se ferment en une infinité de mouvements et qui, soudain, vous happent : vous voilà disparu.

5.
"Souvent, quand mon esprit riche en métamorphoses
Flotte et roule endormi sur l'océan des choses"
(Les Feuilles d'automne, Dicté en présence du glacier du Rhône)
C'est qu'on s'endort alors. Sous la paupière, ça s'agite, et voilà qu'on commence à voir son ailleurs.

6. "... et la mer qui se brise"
(Les Orientales, Clair de lune)
J'aime bien l'idée de la mer comme une vaste plaque de verre vert (je veux dire de la couleur verte alors, le verre de la mer) qui soudain se brise en mille morceaux s'entrechoquant et se fracassant l'un contre l'autre, que ça fait du boucan, que je me demande alors si le mot boucan a quelque rapport avec le mot boucanier.

7.
"L'idéal tombe en poudre au toucher du réel"
(Les Feuilles d'automne, A mes amis L.B. et S.-B.)
Par association d'idées, le mot "poudre" m'évoque le squelette ; c'est que l'idéal, c'est notre squelette, chacun le sien et puis la chair, c'est l'étoffe de nos rêvons et qui tombe en lambeaux et qui s'évanouit.

8.
"Data fata secutus"
En exergue du poème liminaire des Feuilles d'automne ("Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, / Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte"), cette devise des Saint-John, empruntée à L'Enéide (I, 381) : Data fata secutus, "J'ai suivi les destins qui m'étaient accordés" : Les dieux nous hantent et nous précèdent.

9.
"Foudroyantes artilleries"
(Les Orientales, Lazzara)
Les humains ont calqué leurs fureurs sur la foudre et le tonnerre. De là, l'empire de Zeus, puis celui de Jupiter. Depuis les Grecs et les Romains, nous avons beaucoup progressé dans la maîtrise de la fureur. Depuis que nous maîtrisons l'invisible feu de toute chose, nous n'avons plus besoin de dieu foudroyant : nos artilleries suffisent.

10
Avoir cette lenteur de neige qui tombe ; être posé dans le réel comme un invité ; prêter attention aux autres : voilà ce dont je suis parfaitement incapable et je me sens souvent comme puce qui a perdu son chat.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 juin 2012.

 

 

 

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