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BLOG LITTERAIRE
17 juin 2012

PATATES ET CAILLOUX

PATATES ET CAILLOUX

"Non, non ; pas un caillou qui ne rêve un ménage,
Pas un soir qui ne pleure : encore un aujourd'hui !
Pas un Moi qui n'écume aux barreaux de sa cage
Et n'épluche ses jours en filaments d'ennui."
(Jules Laforgue, L'Imitation de Notre-Dame la Lune selon Jules Laforgue, Nobles et touchantes divagations sous la lune)

1.
Un caillou ne peut rêver. C'est même là son intérêt. Enfin quelque chose qui ne soit pas dans la lune, quelque chose qui soit en soi. Un pur étant sans autre nécessité que lui-même.

2.
Qu'on lui attribue quelque faculté imaginative, au caillou, et qu'on lui suppose un "rêve de ménage", quelle horreur ! Quelle ontologique épouvante ! Et pourquoi pas des mômes, tant qu'on y est ? Des gravillons par millions qui, les nuits d'été, éclateraient leurs coquilles d'oeufs d'cailloux et se répandraient sur les allées. Pouah !

3.
Les aujourd'hui sont regrettables s'ils sont pleins de choses casse-pieds à faire. La plupart du temps, c'est la nécessité que nous avons de gagner notre croûte qui nous oblige à l'activité casse-pieds, casse-bonbons, casse-cervelas, casse-possible, au pas beau labeur, et à la fréquentation assidue, et si possible efficace, productive et conviviale (parce qu'en plus, faut avoir l'air content), de nos contemporains, lesquels, semble-t-il, sont incapables de rester seuls, sauf quand ils dorment (et encore !) ou quand s'ils sont aux toilettes.

4.
Avoir le Moi qui écume est assez inquiétant. C'est-y pas qu'l'épilepsie nous guette ? Ou la sénilité ? Ou la rage d'être toujours en cage et de ne pas pouvoir je sais pas quoi d'ailleurs. Ceci dit, c'est vrai que, parfois, on s'ennuie ferme, qu'on a l'impression d'les traîner ses heures, d'les "éplucher ses jours", comme on épluche des patates, et encore des patates, des patates, des patates, pour faire des frites, ou des patates sautées, ou des salades de patates, ou des patates à l'eau, qu'au moins, les pâtes, ça s'épluche pas, mais qu'on peut pas en manger tous les jours, des pâtes, alors faut éplucher des patates. Je dis ça, mais moi, je m'ennuie jamais, c'est le privilège des imaginatifs : je trouve toujours un château en Espagne à bâtir, une légende à m'écrire, un amour pour m'essorer le palpitant, une demi-cuite à prendre (je suis trop vieux maintenant pour prendre des cuites complètes), un roman à ne pas lire, un ami à ne pas aller voir, une corvée à ne pas faire, quelques chats à fouetter, sinon je fais des frites - j'aime bien les frites -, ou je commente du Jules Laforgue, qu'est bien plus amusant que Victor Hugo, bien moins casse-tête chinois que Rimbaud, bien moins raplapla que Verlaine quand Verlaine fait le veau, bien moins suant que Mallarmé, bien moins désespérément parfait que Baudelaire, et y a guère qu'Apollinaire pour me plaire autant.

5.
A la radio, ils passent du reggae. C'est cool, le reggae quand on épluche des patates. En tout cas, ça énerve moins que du hard rock, ou du Léo Ferré. Car écouter du Léo Ferré en épluchant des patates, y a rien d'pire pour le moral. Après, vous seriez fichu de vous passionner pour Victor Hugo, faut faire attention.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 juin 2012

 

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