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BLOG LITTERAIRE
23 juin 2012

UN BON MOMENT A FRONCER LES SOURCILS

UN BON MOMENT A FRONCER LES SOURCILS
Notes sur L'écluse n°1, de Georges Simenon, édition de poche Presses Pocket n°1353.

1.
"La lumière était grise et sentait le sommeil."
(Simenon, op. cit., p.8)
Je relève ces vers blanc dans la deuxième page de L'Ecluse n°1, de Georges Simenon. L'effet visuel induit le ressenti. Un monde fatigué en douze syllabes.

2.
"Le vieux, tout seul dans l'univers immobile..."
(p.10)
Simenon est ancré dans le réel. C'est ce qui fait son succès, cet art sans effets de manche, qui vous plonge dès les premières lignes dans une atmosphère qui ne vous quittera plus tout au long de la lecture. Différente d'un livre à l'autre et toujours la même. Les apparences peuvent changer, l'être du roman reste ce qu'il est, aussi imperturbable, aussi présent au monde que Maigret. C'est qu'il y a quelque chose qui se passe dans la tête des gens, quelque chose qui agit, quelque chose que l'on a du mal à imaginer et dont les résultats sont stupéfiants. Le texte simenonien est ancré dans le réel et a l'air de faire l'étude d'un univers immuable, ou qui ne change qu'à grand peine, un univers immobile où les gens ont l'air d'être à leur place, jusqu'à ce qu'ils chutent.

3.
"La forme blanche s'avançait sur la passerelle. C'était une jeune fille en longue chemise de nuit, pieds nus, et les rayons de lune qui l'auréolaient dessinaient son corps nu sous la toile."
(p.12)
Le fait divers a à voir avec l'univers. Avec l'univers des hommes tout au moins. Avec l'univers que les humains peuplent de fantômes, de formes blanches s'avançant sur la passerelle. Une apparition : la "jeune fille" - essentielle chez Simenon, vitale - à la fois être de chair ("pieds nus" ; "corps nu") et désincarnée, auréolée, lunaire, se montrant en fin de compte telle que les hommes la voient à travers la toile du vêtement, à travers le rideau des syllabes.

4.
"On ne savait pas. On ne pouvait pas savoir."
(p.14)
Douze syllabes. Avec ce "on" au centre pour désigner les accourus du drame, ceux qui ne peuvent pas savoir.

5.
"Il voyait tout de travers, car il était couché par terre et son horizon était le ciel criblé d'étoiles. Pour lui, les gens se dressaient gigantesques, dans l'infini."
(p.18)
Le réel se défile par la brèche. Point de vue du chuté : "couché par terre", c'est le "ciel criblé d'étoiles" qu'il voit, et le monde si immuable, si habituel, si toujours, le voilà qu'il se dresse dans l'infini, hyperbolique, insaisissable, absurde.

6.
"... du soleil plein les yeux, du bruit plein les oreilles..."
(p.23)
Sensation, impression, ressenti, ressentiment fondent le texte simenonien. Maigret est celui qui participe à ce ressenti du monde et qui en reste formidablement indemne. Dans ce début de chapitre 2, le texte souligne qu'il en a plein les yeux et les oreilles. Maigret reste là, "un bon moment à froncer les sourcils", au seuil de son enquête et déjà dedans, à flairer l'atmosphère, à tâter l'ambiance, à s'imprégner du texte. En ce sens, Maigret est le premier lecteur de Simenon. Ce qui intéresse Maigret intéressera le lecteur. Délicatesse de l'auteur qui implicitement nous conseille de rester aussi massif et détaché que Maigret, comme s'il s'agissait avant tout de passer "un bon moment à froncer le sourcil", car, tout de même, c'est de l'humain dont il est ici question.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23 juin 2012

 

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