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BLOG LITTERAIRE
29 juin 2012

ONC ONC ONC

ONC ONC ONC

RONSARD : "LES DERNIERS VERS"
(Il faut laisser maisons et vergers et jardins...)

"Il faut laisser maisons et vergers et jardins,
Et vaisselles et vaisseaux que l'artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du cygne
Qui chante son trépas sur les bords Méandrins.

C'est fait ! j'ai dévidé le cours de mes destins,
J'ai vécu, j'ai rendu mon nom assez insigne ;
Ma plume vole au ciel, pour être quelque signe,
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.

Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il était, plus heureux qui séjourne,
D'homme fait nouvel ange, auprès de Jésus-Christ,

Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue,
Dont le Sort, la Fortune et le Destin se joue,
Franc des liens du corps, pour n'être qu'un esprit."

(Ronsard)

1.
Ce que laisse le poète : les sons des vergers et jardins, des vaisselles et vaisseaux, et l'art des sons : il est lui aussi cet artisan qui burine, qui trace, grave, travaille la matière.

2.
Ce que laisse le poète : la pluralité des demeures, la variété des objets. Il laisse aussi les cycles des saisons, l'être des étants, et leurs noms et leur genre, le féminin vaisselles et le masculin vaisseaux.

3.
L'art est ce que nous laissons. Une fois l'humain disparu de ce que les naïfs appellent "évolution", un musée pour personne, la terre alors. Les chiens boufferont la Joconde.

4.
Si les deux premiers vers du sonnet évoquent ce que nous laissons sur terre alors que la Mort vient nous chercher, c'est que le poète a encore cette possibilité de "chanter" avant de mourir, et ainsi d'ajouter un legs à la liste. L'humain est un être testamentaire. Non seulement il laisse d'autres humains derrière lui (en cela, il n'a pas toujours raison), mais il laisse aussi de quoi occuper les esprits de ses descendants et apparentés.

8.
Le Méandre, lis-je dans une note, fut fleuve "célèbre par ses cygnes". J'imagine assez bien un fleuve qui fait tours et détours, méandres et entrelacs et dont les bords sont plantés de cygnes dont certains chantent, et d'autres pas.

9.
Totem, le cygne, - c'est le trouvère qui va trépasser et qui "chante son obsèque en la façon du cygne" lequel, disait-on, avant de partir pour son paradis, chantait ses adieux à la vie. Totem donc le "cygne" : au passage, quel beau mot à blason, à calligraphie, avec son "y" que porte un léger sifflement et qui atténue la bizarrerie de la palatale "gne". Ronsard en tire un bel effet de glissement ("en la façon du cygne") que j'y vois s'y profiler sur l'eau sombre la splendeur habituelle que l'on attribue à cet animal qu'en plus on dit méchant, c'est formidable.

10.
L'expression "méchant / méchante comme un cygne" est fort rarement employée (je me demande même si) en raison sans doute de ce que la majesté du "cygne" pourrait en estomper la "méchanceté".

11.
Pour moi, je me blasonnerais bien "cygne noir", majestueux et l'oeil froid sur un lac bien loin de vous (au loin un château en Espagne quand même, sur un bout de couleur verte) et l'arcade d'une devise en grec pour faire plus mystérieux, ou alors l'hémistiche "Heureux qui ne fut onc", vu que "onc", ça fait bien comme cri de cygne noir (et c'est moins prétentieux que nevermore).

12.
J'aime bien la simplicité du vers 5, ce "C'est fait !" qui résume tout, puisque, en effet, nos existences vont de "c'est fait" en "c'est fait", de "ce qui est fait est fait" en "n'est plus à faire" jusqu'à l'ultime "c'est fait" et le fait que nous avons épuisé la pelote, que nous ne sommes plus que ce fait : nous fûmes.

13.
Fantaisie que cette plume volante au ciel du vers 7. Je devine Ronsard trop acharné pour ne pas avoir mis dans cette image un peu d'ironie. Aussi bien, il en profite pour rappeler que le monde est essentiellement illusion, celle des "appas mondains", celle de ce après quoi nous courons et qui fait de nous de splendides médiocres.

14.
"Heureux qui ne fut onc", ça sonne déjà comme "De l'inconvénient d'être né" de Cioran. C'est amusant. Un peu puéril, surtout chez Cioran - ou apparemment puéril. Cette réplique entendue dans un film de Pascal Thomas ( je cite de mémoire : "bon euh, les vrais problèmes sont à Beyrouth") rappelle que nos petits problèmes affectifs, existentialo-relationnels, et comment ça se fait qu'il a le droit et pas moi ne sont rien d'autre que de l'occupationnel, que du je trouve pas mieux à faire que d'me lamenter. La solution est pourtant simple : évitez les gens, et vous n'aurez pas l'occasion de vous en plaindre. Qui ne sait supporter sa solitude est une proie facile pour celui qui a l'art de tirer profit des autres.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 juin 2012

 

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