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BLOG LITTERAIRE
22 juillet 2012

COMME UN TUYAU DE POELE DANS LE GRATIN

COMME UN TUYAU DE POELE DANS LE GRATIN

1.
             "Je sais, sans vouloir me flatter,
Qu'une superbe loi semble me rejeter
(Racine, Phèdre, II, 2, vers 487-88 [Hippolyte à Aricie])

Voilà qui à nos modernes esgourdes sonne autrement. Que la Grèce rejette l'hypothèse d'un Hippolyte qui prendrait la place de son père Thésée implique qu'elle se refuse à le flatter, c'est-à-dire à l'honorer. De même si la loi est superbe, c'est qu'elle est présomptueuse, car Hippolyte estime que la place de roi lui revient de droit (cf vers 490-492 "Mais, si pour concurrent je n'avais que mon frère, / Madame, j'ai sur lui de véritables droits / Que je saurais sauver du caprice des lois."). Cependant, pour nous autres, les vers 487-88 expriment aussi l'orgueil d'un Hippolyte qui dénie à la Grèce le droit de le mépriser (cf vers 489 : "La Grèce me reproche une mère étrangère."). Il s'en flatte et c'est lui qui méprise.

2.
"Puisque j'ai commencé de rompre le silence,
Madame, il faut poursuivre ; il faut vous informer
D'un secret que mon coeur ne peut plus renfermer."
(Racine, Phèdre, II, 2, vers 526-528 [Hippolyte à Aricie])

Un secret partagé n'est plus tout à fait un secret. Il devient une complicité. C'est ainsi que l'on passe de l'amour platonique, de l'amour caché, du sentiment que l'on garde pour soi aux complications de la révélation. C'est ainsi que l'on devient bavard.

3.
"Contre vous, contre moi, vainement je m'éprouve :
Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve ;
Dans le fond des forêts votre image me suit ;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j'évite ;
Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolyte."
(Racine, Phèdre, II, 2, vers 541-546 [Hippolyte à Aricie])

Fasciné, l'Hippolyte... La jeune Aricie, tiens... Quelle affaire! Qu'il s'éprouve!... n'en oublie pas pour autant de causer magnifique... de la drague en alexandrins... et parallélisme foudroyant : "Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve"... qu'il en est illustré... que son image la suit partout où il va... jusque "dans le fond des forêts"... qu'y fait-il ? Il chasse sans doute... oui, mais la chasse, quand on se sent tout fébrile amoureux, la chasse, c'est bien ennuyeux... puis, i dort plus qu'il a l'air de dire, que "la lumière du jour", c'est plein d'Aricie, et les "ombres de la nuit", plein d'Aricie aussi... comme Phèdre qu'il est, qu'elle mange plus dort plus tellement qu'elle en pince pour le prince, oui, celui-là, cet Hippolyte, son beau-fils, puisqu'il est le fils de Thésée son mari, à Phèdre, même qu'il l'a eu, ce fils, Thésée, avec Antiope, la reine des Amazones. Y a comme un tuyau de poêle dans le gratin... bref, i s'fait du cinoche, Hippolyte, de la romance, il en est tout étonné, lui si rebelle, si farouche, si fond des forêts, tout étonné d'être ainsi fasciné.

4.
"Madame, je n'ai point des sentiments si bas."
(Racine, Phèdre, II, 5, vers 595 [Hippolyte à Phèdre])

Voilà encore le genre de vers dont j'aimerais bien me souvenir pour le ressortir à l'occasion. Faudrait faire une liste. Je ne doute pas de l'effet ; je passerais pour un fat.

5.
"On ne voit point deux fois le rivage des morts"
(Racine, Phèdre, II, 5, vers 623 [Phèdre à Hippolyte])

Décidément, Phèdre est une pièce pleine de vers à briller. Et puis, celui-là est gothique à souhait. C'est qu'on vit une époque de visages sombres. On est pourtant en paix. C'est que le siècle XX fut très massacrant, avec ses deux boucheries mondiales et tout un tas de conflits à tortures et épouvantes. Et puis l'extermination de masse, les chambres à gaz, holocauste, et peste brune, et peste rouge. A côté, notre époque devrait être joyeuse, mais rien à faire : l'humain aime à se compliquer l'existence, à provoquer des crises, des raisons de s'en faire. C'est comme ça qu'il le tisse, le fil de son histoire ; peut pas rester tranquille, l'humain ; faut qu'il bavarde, qu'il demande, qu'il critique, qu'il réplique, qu'il exige, qu'il refuse, qu'il mente et dénonce, évidemment, à force, les gens, les clans, les communautés, les églises, les raisons d'Etat finissent par se taper dessus.

6.
               "Ah ! cruel ! tu m'as trop entendue !
Je t'en ai dit assez pour te tirer d'erreur.
Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur"
(Racine, Phèdre, II, 5, vers 671-673 [Phèdre à Hippolyte])

Et que viens-je de dire au fragment 5 de cette page merveilleuse ? Que la langue est la vipère du monde.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 juillet 2012

 

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