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BLOG LITTERAIRE
26 juillet 2012

UN COUP D'OEIL SUFFIT

UN COUP D'OEIL SUFFIT
(Notes sur D'un château l'autre, de Céline, folio n°776, p.138 à 142)

1.
D'un Château, p.138-39 : Céline, il délire, c'est entendu... Ses géniales proses, c'est du grand délire... du cauchemardant conté comme pour faire marrer... cauchemarrance... de l'affreux rêve ancré dans le réel... il songe, conte, caricature, barbouille précis à la Gen Pol, son peintre pote d'avant la guerre, à coups de... il pochade et croquignole... dans ce passage, il a un accès de paludisme... ça lui force le délire... "je m'emmêle... mêle..." qu'il dit... "le Bas-Meudon... Siegmaringen..." et puisqu'il délire de toute façon, il en profite pour rappeler que ce qu'il veut, c'est "remémorer", qu'on le laisse... qu'il a des prétentions à l'Histoire ; je cite : "Nordling qu'a sauvé Paris a bien voulu me sortir du gniouf... que l'Histoire prenne note !... on est mémorialiste ou pas !..."

2.
p.140 : "vous verrez un peu ce que je veux dire !"

La littérature est-elle un vouloir dire sans cesse remis ? ajourné ? et puis le "un peu"... on ne peut tout saisir. Ce qui déclenche l'écriture, l'ensemble des circonstances, reste ignoré... les mots ne peuvent dire plus que ce qu'ils disent... c'est le tracas du chroniqueur : il ne peut jamais tout à fait se faire comprendre.

3.
p.141 : l'aveu est-il sincère : "Oh ! que j'étais bien décidé à plus rien écrire !..." j'y crois pas... le style de Céline, c'est de la musique... percussion ! avec un drôle d'orchestre dans les trous... virtuose, comment aurait-il pu renoncer à ça qui l'agitait ? Tarentelle, sa plume... tarentelle morbide... ça danse, swingue au-dessus des gouffres qu'il s'est aménagé... après, il peut se trouver des raisons : "la vanité m'houspille pas ! mais le gaz, les carottes, les biscottes..." Voyage au bout de la nuit lui avait rapporté des sous... beaucoup... A Meudon qu'on dit qu'il était vraiment pas riche, il devait avoir la nostalgie pécuniaire... tricard comme il était, blacklisté, pas bien vu du tout, il avait aucune chance... s'est acharné tout de même... c'est que sa musique était plus forte.

4.
p.142 : "la condition du monde entier !... c'est-à-dire... c'est-à-dire :"

Comme il le redit, son "c'est-à-dire", qu'il le souligne donc que le monde est un "c'est-à-dire". La littérature est un vouloir-dire, et le réel un c'est-à-dire. Le réel est tout là-dedans, dans ce qui est dit : chaque phrase est une invention du réel, et dans ce qui est-à-dire : le réel est d'autant plus complexe que sont complexes les phrases qui l'inventent, ce monde du c'est-à-dire.

5.
Les étants ne se commentent pas entre eux ; ils s'opposent avec indifférence.

6.
Le réel est peuplé d'organes de la parole reliés à des boîtes à conscience. Ces appareils sont montés sur des torses à bras et jambes qui circulent en tous sens. Les organes de la parole sont munis de bouches qui émettent des messages sur le c'est-à-dire du monde. Ces messages étant d'une infinie variété, ils se contredisent fatalement. Ce qui fait que les organes de la parole entrent si facilement en conflit entre eux. Les bras et les jambes peuvent alors être utilisés comme des armes ou porter des armes. La gamme des conflits est elle aussi très grande. Elle peut aller de la simple remarque à la destruction massive. Cependant, les organes de la parole sont aussi reliés à des organes de reproduction. Pour faciliter cette reproduction, les bouches émettent des messages érotiques (on appelle cela "parler d'amour", ou encore "faire la cour", ou "flirter", ou "draguer). Ce qui fait que malgré les destructions massives induites par l'opposition des messages entre eux, le nombre d'organes de la parole tend à se multiplier de telle sorte qu'à vrai dire l'on ne s'entend plus.

7.
"c'est-à-dire : les femmes de ménage qui font tout !" (p.142)

Le monde est le ménage du monde. Ironie très grande ; ce ne sont ni les savants, ni les hommes d'Etat qui font le monde, mais les "femmes de ménage"... les secrétaires portent bien leurs noms : ils, elles, sont les gardiens des secrets du monde... les femmes de ménage, l'air de rien, y ont accès à ces secrets... le destin du monde est lié à l'ordre des bureaux... même aujourd'hui qu'on est si électroniquement équipé pour tout garder, sauvegarder, surveiller, bien des révélations se jouent sur un coup d'oeil... un coup d'oeil suffit.

8.
Je viens d'entendre sur France Culture cet aphorisme intéressant de Sylvain Tesson : "Un jour, tous les chemins se vengeront d'avoir été battus." Que voulez-vous, si ça m'amuse...

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 26 juillet 2012

 

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