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BLOG LITTERAIRE
2 août 2012

AVEC QUELLE RIGUEUR, DESTIN

AVEC QUELLE RIGUEUR, DESTIN
(Notes sur Phèdre, de Racine, Acte IV, scènes 1 et 2)

1.
Des harcelés d'harpies... des pourchassés du Destin... "Avec quelle rigueur, destin, tu me poursuis !" qu'il dit le roi Thésée, apprenant à la scène 1 de l'Acte IV qu'Hippolyte se serait conduit comme un vulgaire Strauss-Kahn avec la reine Phèdre... Le destin, grosse boule sifflante de garde sur la plage, sur les routes, partout où il serait tenté de s'échapper, le Tragique, de s'ensauver du palais, de se barrer du noeud... il est d'autant plus boulant, le Destin, qu'Oenone, toute dévouée à Phèdre, lui raconte des craques à Thésée, lui faisant une réputation des plus horribles à Hippolyte, comme quoi Phèdre, "honteuse du dessein d'un amant furieux", plein jusqu'aux yeux d'un "feu" rien moins que "criminel", était toute prête à mourir plutôt que de céder aux avances de l'autre salaud-là, et que si elle était pas intervenue, ah ! Dieux, que serait-il de Phèdre advenu ?

2.
"Perfide ! Oses-tu bien te montrer devant moi ?
Monstre, qu'a trop longtemps épargné le tonnerre,
Reste impur des brigands dont j'ai purgé la terre !"
(Acte IV, Scène 2, vers 1044-1046 [Thésèe à Hippolyte])

Pas content, papa Thésée, qui aurait voulu qu'il eût été foudroyé, l'Hippolyte, que "trop longtemps" qu'il l'a "épargné le tonnerre" (qu'est-ce qu'ils foutent donc les dieux vengeurs et le poing chargé d'éclairs de Zeus ?). Faut dire, le salopiot aurait profité de l'absence de son père pour tenter d'abuser sexuellement de sa belle-mère. Donc, forcément, "reste impur", l'Hippolyte, à "purger" d'la terre au même titre que tous les affreux liquidés par Thésèe et dont Hippolyte fit lui-même la liste à la scène 1 de l'Acte I, cf les vers 80-82 ("Procuste, Cercyon, et Scirron, et Sinnis", le géant Epidaure, le Minotaure)

3.
"Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage
D'infâmes assassins nettoya ton rivage,
Souviens-toi que, pour prix de mes efforts heureux,
Tu promis d'exaucer le premier de mes voeux."
(Acte IV, Scène 2, vers 1065-1068 [Thésèe à Hippolyte])

Comme il est furax, Thésée, il en profite pour rappeler au patron Neptune, le zigue préposé aux flots et rivages que rapport à ce qu'il avait fait, lui Thésée, le ménage chez les malfaisants balnéaires, qu'il lui doit un voeu, le divin : que va-t-il demander ? La métamorphose d'Hippolyte en pédagogiste militant ? en coin-coin, en toutou, en chat-chat à mémère, en grigri, en chow-chow à langue bleue, en pouic-pouic cause que vu qu'il est convaincu que l'Hippolyte, c'est rien qu'un pervers, ça m'étonnerait qu'il demande à Neptune de lui offrir une croisière aux Caraïbes... d'ailleurs, vous savez bien qu'ça va mal finir, c't'affaire, dans le sang et la poussière... 

4.
"Examinez ma vie, et songez qui je suis.
Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes ;
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes
Peut violer enfin les droits les plus sacrés :
Ainsi que la vertu, le crime a ses degrès,
Et jamais on n'a vu la timide innocence
Passer subitement à l'extrême licence.
Un jour seul ne fait point d'un mortel vertueux
Un perfide assassin, un lâche incestueux."
(Acte IV, Scène 2, vers 1092-1100 [Hippolyte à Thésèe])

Pour se justifier, Hippolyte fait valoir qu'il n'est pas n'importe qui quand même ah bin tout de même alors. D'ailleurs, interrogeons le présent de vérité générale qui dit que "quelques crimes toujours précèdent les grands crimes", "qui vole un oeuf vole un boeuf", "qui a bu boira", "qui a cru croira", "qui a su saura", "qui a lu luira", et "qui me lit rira", si le coeur lui en dit et s'il ne m'en veut pas. Hippolyte, innocent qu'il est, agneau, son passé parle pour lui. C'est qu'c'est pas un mariole, l'Hippolyte (ça me rappelle cette pub à la téloche où l'on voyait un brave gars, bien pâlot, tout à fait l'air pigeon, déclarer convaincu : "Mon banquier, c'est pas un mariole" ; ce dont nous ne doutons point car, dans le monde de la banque, il est très difficile d'exercer à la fois le métier de mariole et celui de voleur ; le mariole n'étant pas nécessaire alors que le banquier si, et qu'en conséquence, nous dirons que le banquier est un voleur nécessaire comme le politique est un menteur nécessaire : si les gens n'avaient pas le sentiment d'être volés et, qu'en plus, on leur disait la vérité, ils se révolteraient vite contre ces impudents qui auraient l'audace de les priver de ce droit fondamental au ressentiment et à la condamnation des élites par un peuple qui, se sentant floué, se sent exister fin de la parenthèse). Pas un mariole donc, il le dit lui-même, qu'on en soit bien sûr, surtout que Thésée, il l'a pas vu depuis un bon bout de temps, son fiston, donc il faut lui rappeler :

"J'ai poussé la vertu jusques à la rudesse :
On sait de mes chagrins l'inflexible rigueur.
Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon coeur.
Et l'on veut qu'Hippolyte, épris d'un feu profane..."
(IV, 2, vers 1110-1113 [Hippolyte à Thésèe])

Rude donc, Hippolyte, c'est-à-dire ici austère, pas marrant, pas commode, la rigueur inflexible, droit dans ses bottes, ce qui dans le monde gréco-racinien peut paraître incongru, j'en conviens, mais c'est vous dire que c'était pas le genre pouet pouet, l'Hippolyte. D'ailleurs, peut-on mentir quand on dit de si beaux vers :

"Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon coeur"

que souvent, on se goure, qu'on l'attribue à Phèdre, ce monosyllabique, eh bien non, c'est Hippolyte qui le dit ; et, quant à savoir si l'on peut mentir après avoir dit une si jolie chose, eh bien, évidemment oui qu'on peut. C'est pas parce qu'on peut épater son monde avec de la poésie, qu'on peut pas se payer sa fiole, au monde. Ceci dit, il a rien fait, Hippolyte, je vous le jure.

5. 
"Toujours les scélérats ont recours au parjure.
Cesse, cesse, et m'épargne un importun discours,
Si ta fausse vertu n'a point d'autre recours."
(vers 1134-1136 [Thésèe à Hippolyte])

Thésèe le croit pas. Il lui conseille de se taire, et même de fuir, et de pas revenir, sous peine de "châtiment" soudain aussi bien que mortel :

"Fuis ; et, si tu ne veux qu'un châtiment soudain
T'ajoute aux scélérats qu'a punis cette main,
Prends garde que jamais l'astre qui nous éclaire
Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire."
(vers 1059-1062)

6.
HIPPOLYTE
Vous me parlez toujours d'inceste et d'adultère !
Je me tais. Cependant Phèdre sort d'une mère,
Phèdre est d'un sang, seigneur, vous le savez trop bien,
De toutes ces horreurs plus remplis que le mien.
(vers 1149-1152 [Hippolyte à Thésèe])

Bon, Hippolyte a beau dire, argumenter, se défendre, il voit bien que l'opinion de Thésèe est faite, et qu'il n'a plus qu'à la boucler. Cependant, il ne peut s'empêcher d'allusionner, Hippolyte, que Phèdre, faut pas lui en raconter, à lui, Hippolyte, qu'y aurait bien des choses à dire sur sa famille, qu'c'est pas bien propre tout ça, et ce disant, il oublie un peu vite qu'il parle de la Reine, qui est aussi la femme de Thésèe, qui, à ses mots, lui conseille de filer fissa :

"Quoi ! ta rage à mes yeux perd toute retenue ?
Pour la dernière fois, ôte-toi de ma vue ;
Sors, traître : n'attends pas qu'un père furieux
Te fasse avec opprobre arracher de ces lieux."
(vers 1153-1156)

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 2 août 2012

 

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