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BLOG LITTERAIRE
9 août 2012

PROLEGOMENES A DANS UN CAFE PRESQUE DESERT A CETTE HEURE-LA DE L'APRES-MIDI

PROLEGOMENES A DANS UN CAFE PRESQUE DESERT A CETTE HEURE-LA DE L'APRES-MIDI

Une foule en délire et tout à fait enthousiaste, composée essentiellement de moi-même et de mon ombre, me demandant d'apporter des éclaircissements à ce chef d'oeuvre que sont les trois fragments titrés "Dans un café presque désert à cette heure-là de l'aprés-midi", et puisque je m'estime assez pour en dire plus sur moi-même (mais non, j'ai pas le melon), voici donc les éclaircissements demandés.
J'ajoute que je n'ai pas la moindre idée de ce que peut bien vouloir signifier le mot "prolégomènes", mais il m'a l'air tout à fait sérieux, propre sur lui, et fort approprié au discours critique que je me m'apprête à tenir.

1.
La citation de Jean Ricardou : Jean Ricardou fait partie de ces auteurs épatants dont vous pouvez ouvrir les écrits théoriques à n'importe quelle page, ou presque, et où vous êtes sûr de trouver une phrase à se poiler, le genre de phrase qui a l'air d'en dire long et qui dit que couic, ou qui prend un ton très sérieux, austère même, sinon alarmiste, pour évoquer les soucis du romancier au moment où il se demande s'il doit la faire blonde, brune, fausse blonde, rousse cuivrée, vert pistache ou bleu des Alpes, la chevelure de son héroïne. Je recite le grand critique :

"Mais ce risque ponctuel, celui des variantes circonscrites, peut faire place, infiniment plus grave, à un péril structurel : celui des variantes inscrites."
(Jean Ricardou, Le Nouveau Roman, Seuil, collection "Ecrivains de toujours" n°92, p.97)

J'apprécie beaucoup "l'infiniment plus grave péril structurel". A l'heure ou j'écris ces lignes, le 9 août 2012, les insurgés de la ville d'Alep, en Syrie, se battent pour leur survie et se font étriper, égorger, éventrer par la puissante armée d'un sanglant salopard, mais puisque le problème des variantes narratives dans des bouquins que plus personne ne lit est "infiniment grave" que c'en est même un "péril structurel", alors, évidemment...

2.
Le début du fragment 1 ("Il lui fait remarquer que...") : Il s'agit en fait d'une expansion d'un passage tiré d'un roman d'Agatha Christie (Le major parlait trop, traduction par Claire Durivaux, Club des Masques n°108, p.96). Je cite :

"- Vous sembliez plutôt mystérieux au téléphone, Graham. Des ennuis ?
- Pas exactement, mais je suis effectivement soucieux."

J'aime bien Agatha Christie (cette phrase à elle seule, c'est de la pure rhétorique, m'sieurs-dames).  Je ne lis pas ses romans en entier (j'ai pas que ça qu'à) mais deux ou trois lignes picorées au hasard de ses volumes peuvent suffire à m'enclencher le processus déconnant (the deconning process).

3.
Le café Robe-Grillet : je ne vous le conseille pas. Il laisse un goût de gomme dans la bouche.

4.
J'avais imaginé que le personnage qui descend du bus avait rendez-vous avec Vincent, François, Paul et les autres, et que, découragé à l'avance par les habituels bavardages d'un tas de buveurs de bière quadragénaires, leurs petits et grand soucis, egos et nombrils, affects et portages de cornes, fantasmes et affaires, et les enfants vont bien, et ta soeur, et ce con d'Houzeau, qu'est-ce qu'il devient, ce con d'Houzeau, il - le personnage -, décide de s'arrêter en chemin, à un arrêt situé quelque part dans une longue rue venteuse, et de rentrer dans un café. J'ai laissé tomber. Je veux pas faire trop long. La littérature, c'est comme de l'escrime, faut aller vite, faire éclair, foudroyer, rompre. Et en plus, il avait vu le film.

5.
La référence au cinéma allemand : c'est que le truc du gusse qui descend d'un bus dans le nulle part de quelque part qui ressemble tellement à tant d'autres quelque part que ça en devient nulle part (les professeurs de philosophie des classes de terminale peuvent me citer : j'en serais flatté) est tiré d'un film allemand des années 70, je crois bien qu'il s'agissait de "L'angoisse du gardien de but au moment du pénalty" de Wim Wenders (est-ce bien Wim Wenders qui a réalisé ce film ? Est-ce bien ce film-là où ma souvenance m'hallucinerait-elle ?). J'étais jeune à l'époque : j'ai regardé le film jusqu'au bout ; fasciné. Il n'en serait point de même aujourd'hui où je ne regarde que des comédies genre avec Louis de Funès (Ah les Fantômas avec Jean Marais et l'à-croquer Mylène Demongeot) ou alors Benny Hill (franchement, j'aime beaucoup).

6.
Pour le fragment 2, pas grand chose à dire sinon que Ursula Schmitt est une réminiscence scolaire. Quand j'étais au collège, les manuels d'allemand que nous utilisions pour ânonner schleu nous racontaient les palpitantes aventures audio-visuelles (y avait des cassettes et des images) de la famille Schmitt et de la famille Naumann (je crois bien qu'c'est ça, Naumann, et pis si c'est pas tant pis). Y avait Ursula, Inge, Dieter, Karl, et quelques autres teutons totors qui avaient des répliques définitives sur les programmes télé, les vacances à Rimini, la neige qui neige, la pluie qui pleut (es regnet), la sonnette qui sonne (es klingelt), les klaxons qui klaxonnent (es pouët-pouët). Nous autres, on était bien effarés. On se tapait des plus ou moins bonnes notes. Pour apprendre trois phrases on mettait des plombes. Les profs râlaient. On faisait plus ou moins semblant. Trois ou quatre bossaient réellement. Nous on suivait le mouvement. En fin d'après-midi on regardait l'heure : ça n'avançait pas.

7.
Dans le fragment 3, l'allusion à "La Route des Flandres" de Claude Simon : j'ai l'air de rigoler comme ça, mais en fait, "La Route des Flandres" est un de mes livres préférés. Quelle claque quand j'ai découvert cette écriture, ces longues phrases où tout se mêle (souvenirs, impressions, associations d'idées, phrases  rapportées, rythmes, images fantasmatiques,...). Franchement, du grand art. Bon, mais comme j'aime à rire, j'avais aussi pensé que mon personnage masculin, cependant que devisait Elisabeth (bli-bli-bla-bla-blo-blo), imaginait que sur "La Route des Flandres" que l'on peut supposer longue et pleine de forêts et de trous de verdures où chantonnent des rivières, sinuaient les longues phrases de Claude Simon, progressant par à-coups, cependant que de féroces teutons se jetaient sur elles, tentant de les tronçonner à la hache en autant de bouts de phrase affolés, désorientés, sans queue ni tête, ni verbe, ni complément, ni sujet quelquefois, et qu'elles se sauvaient, les phrases, à travers les bois, courant à perdre haleine... bref, vous voyez le topo. Mais bon, j'ai jugé que point trop n'en fallait. C'est que je n'écris pas tout ce que je pense. Vous seriez effarés.

8.
"Le bistrotier à rouflaquettes" : Il est possible que le syndicat des bistrotiers à rouflaquettes m'intente un procès pour dénigrement. C'est qu'il y aurait-là gourance et malentendu. J'ai le plus grand respect pour les bistrotiers à rouflaquettes. Ils font un métier difficile : il arrive que les percolateurs soient récalcitrants et que les clients tombent en panne. J'en ai parfaitement conscience. Aussi, faut-il lire ces lignes - pas celles-ci, mais celles dont je parle - comme un hommage rendu à une profession, et non une moquerie. Je vais même vous dire : le jour où les bistrotiers à rouflaquettes auront été définitivement remplacés par des agents immobilers à raie sur le côté, eh bien, il est certain que le pernod n'aura plus le même goût.

9.
J'avais d'ailleurs d'abord pensé remplacer "bistrotier à rouflaquettes" par "esthéticienne à bigoudis" (c'est tout de même moins courant de rencontrer une esthéticienne à bigoudis qu'un bistrotier à rouflaquettes) mais, franchement, une esthéticienne se battant avec un percolateur, je le voyais pas trop. Et puis on voyait plus le rapport avec Robe-Grillet. Succe-têtée (comme dit ma nourrice) dommage.

10.
Toutes les jeunes femmes évoquées dans le fragment 3 sont purement fictives. Elles n'en sont que plus belles.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 août 2012

 

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