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BLOG LITTERAIRE
23 août 2012

ET POURTANT ELLES S'OUVRENT

ET POURTANT ELLES S'OUVRENT

1.
Si la lune est, comme l'écrit Jim Morrison dans "Une prière américaine", une bête à sang sec, à poussière de sang, "a dry blood beast",c'est qu'alors nous arpentons l'échine d'une bête à sang chaud bouillant.

2.
L'image du "tigre aveugle" qui seul pourrait sauver la Reine de la Grand Route (Queen Of The Highway) dans une chanson de Jim Morrison (No one could save her save the blind tiger), exprime peut-être l'idée d'une puissance aveugle, d'une menace qui dégage les chemins, écarte la foule, éloigne les prédateurs. Mais si ça se trouve, c'est le nom d'une marque de bourbon. Les Américains ont le don des noms. Ainsi, j'ai lu autrefois quelque part que le groupe Blue Öyster Cult ("Le Culte de l'Huître Bleue") tirait son nom d'une marque de bière. Ce qui est amusant, et rassurant. Ceci dit, je vous emmène bien en bateau, cause que le texte de Morrison apporte une réponse :

"No one could save her save the blind tiger ;
he was a monster black dressed in leather
"

"Personne ne pouvait la sauver sauf le tigre aveugle ;
lui était un monstre noir vêtu de cuir"
(traduction : Hervé Muller, "une prière américaine", 10/18 n°1714).

3.
"Les gens sont étranges quand tu es un étranger"
"People are strange when you're a stranger"
(Jim Morrison, People are strange)
Je sais pas si c'est Morrison qui l'a composé tout seul, cet aphorisme, vu que son évidence lui donne une patine familière. En plus, ça sonne aussi juste en français qu'en anglais. Fallait y penser.

4.
Il y a dans The Celebration Of The Lizard, un passage que j'aime tout particulièrement :

"Once I had a little game
I liked to crawl back into my brain
I think you know the game I mean
I mean the game called "go insane"
(Jim Morrison, The Celebration Of The Lizard)

"Autrefois j'avais un petit jeu
J'aimais me retourner en rampant dans mon cerveau
Je pense que vous connaissez le jeu dont je parle
Je parle de ce jeu qu'on appelle "devenir fou"
(traduction : Hervé Muller)

Je me moque souvent des poètes à monde intérieur et autres fariboles introspectives. C'est qu'on est d'l'organe, et pis c'est tout. Y a qu'à penser à la façon dont on va finir. Eh oui, la plus belle, que vous dévorez des yeux, celle dont vous vous dites qu'elle est quand même unique, d'une manière d'être incroyable, d'un charme inédit, et tout ci tout ça, elle va, la plus belle, tout comme vous, d'ici quelques dizaines d'années, pourrir et se décomposer. Alors les infinis intérieurs, hein bon... ce qu'il y a dans ce que dit Morrison, c'est que, justement, on ne peut "ramper dans son cerveau" qu'en "devenant fou". C'est le principe de la répétition, de la fascination, ça tourne sans cesse dans la tête, comme si il y avait comme ça un circuit neuronal sur lequel passerait sans cesse la même idée. On ne peut faire autrement que d'y penser. Le reste du monde devient alors très lointain et ne peut plus prendre sens que dans l'urgence.

5.
Répétitions et variations : c'est ainsi qu'ça évolue. Ce qu'il y a, c'est qu'il faut éviter de se laisser captiver par la synchronie. C'est qu'elle est tentante, la synchronie, l'apparente perfection de ce qui ne varie plus. D'une certaine manière, les créateurs ne font jamais que créer des synchronies : le roman ne bouge pas d'une lettre ; le tableau présentera toujours les mêmes couleurs ; la partition est déjà jouée sur le papier. Mais, bien sûr, l'interprète et le commentateur désynchronisent l'oeuvre, lui font dire ce qu'elle ne dit pas, révèlent des secrets qu'elle ignore elle-même, lui donnent un sens qui lui échappe. L'humain forge ainsi des clés pour des portes qui n'existent pas. Et pourtant, elles s'ouvrent.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 23  août 2012

 

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