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BLOG LITTERAIRE
5 octobre 2012

CE QUE NOUS LISONS, CE SONT D'AUTRES YEUX

CE QUE NOUS LISONS, CE SONT D'AUTRES YEUX

cf Les Ecuries d'Augias, Agatha Christie traduit par Monique Thies, Club des Masques n°72.

1.
"- Quelqu'un dans cette maison a-t-il des troubles oculaires?"
(p.57).
Il y a dans cette question de Poirot quelque fond philosophique (comme on dit que le fond de l'air est frais ou que dans le fond ceci-cela) que je la verrais bien, cette question, servir de titre à une étude sur beaucoup de choses par ailleurs, certainement, cela ne fait point de doute.

2.
J'aime bien l'expression "par ailleurs" : elle fait faire un détour à la phrase, elle la bifurque de telle sorte que l'on a fugacement l'espoir d'aboutir à quelque chose d'autre et de beaucoup plus intéressant.

3.
"Elle releva la tête, d'un mouvement brusque, peu soucieuse de banalité." (p.97) :
C'est épatant que l'on puisse lire des phrases comme ça dans des livres si faciles à trouver. Et dire qu'il y en a qui s'extasient devant des nébulosités ontologiques qu'ils payent cher juste pour pouvoir se dire qu'ils ont le dernier bouquin à çui-là qui est si sérieux, et profond, même qu'on l'entend parfois sur France Culture. Je me demande tout de même : Agatha Christie a-t-elle réellement composé une phrase si intéressante, ou n'est-ce point plutôt la traductrice (Monique Thies) qui aurait sauté quelques mots, là, mine de rien, rapport à ce que j'ai entendu une fois à la radio que pendant longtemps, pour des raison de formatage, on n'avait pas trop hésité, dans les traductions françaises, à couper dans sa prose, à Agatha ; ceci dit, je vois d'ici (car j'ai l'oeil américain et la souplesse du pingouin) que certains d'entre vous parmi les moins débouchés se disent oui, mais il ne nous dit pas en quoi cette phrase est si intéressante ; je ne répondrai point à cette provocation car ce ne sont point les baïonnettes de vos raisons qui embrocheront la marionnette qui sautille dans son bocal.

4.
Un grand philosophe est quelqu'un dont on parle plus qu'on ne le lit (je me demande si cette phrase est bien correcte, mais comme vous comprenez ce que je veux dire...)

5.
"la dernière "vision" de Cole l'avait fait assister à un mariage rituel entre un dieu et une déesse chaldéens et elle avait dû en subir le récit." (p.121)
Le verbe "subir" est ici délicieux. Tout ce que l'on nous a raconté et que l'on a dû "subir". Sans doute faut-il subir pour subsister. Deux sortes de caractères : ceux qui subissent et ceux qui profitent. Le complément est évident : il s'agit des autres.

6.
Si j'écris cette simple phrase - Le complément est évident, il s'agit des autres - j'obtiens un aphorisme assez énigmatique pour être glosé. Si j'étais plus habile, je pourrais même l'attribuer à quelque auteur ancien et peu lu du grand nombre. Ce qui me vaudrait une réputation d'érudit.

7.
"Hercule Poirot ne jugea pas nécessaire de répliquer que lui seul savait ce qu'il était bon de faire la plupart du temps." (p.49)
Ceux qui se rendent maîtres de leur temps - ceux qui ne le perdent pas en route - jugent souvent qu'il n'est pas nécessaire de répliquer.

8.
"Il ne lui suffisait pas qu'un objet fût beau, il lui fallait être aussi porteur de traditions." (p.131)
C'est ainsi qu'on en arrive à légitimer des traditions de laideurs, des dynasties de croûtes et choucroutes, d'hideuses historicités.

9.
"- Si je pouvais en être convaincu...
- Vous pouvez me croire.
- Mais vous ne m'avez rien dit.
- Je ne veux pas en parler."
(p.48)
Dialogue évidemment théologique. Plus loin dans la phrase, je relève ceci : "Cela a-t-il un rapport avec l'égorgement de certains moutons ? demanda Poirot d'une voix douce."

10.
"Mais il l'a caché et personne n'y a touché depuis." (p.139)
La littérature est pleine d'objets cachés. De toute façon, la littérature ne parlant jamais que du passé - même si elle se pique parfois de prédire -, les objets y sont par définition intouchables. Un livre, c'est du passé destiné à troubler dans l'avenir, c'est le présent de vérité générale du verbe troubler.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 5 octobre 2012

 

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