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BLOG LITTERAIRE
18 octobre 2012

QUANT AUX DOMINOS

QUANT AUX DOMINOS
cf Pantagruel, de Rabelais, Les Classiques de Poche n°1240, texte établi et annoté par Pierre Michel.

1.
"car il disoit qu'il n'y avoit qu'un antistrophe entre femme folle à la messe et femme molle à la fesse." (Rabelais, Pantagruel, XVI p.167).
Le propre de la contrepèterie, c'est de jouer sur le sens des mots en jouant sur la place des lettres. C'est ainsi que l'humour s'amuse du signifiant plus que du signifié et se moque bien du référent. C'est ainsi qu'il révèle que notre rapport au signifié passe par la façon dont est employé le signifiant. C'est ainsi qu'il dénonce une prétendue sincérité des signes et l'on ne sait quel en-soi du sens. Le réel dévoilé par le langage est également tragique et également comique. Ce qui fait la puissance du trait, c'est que justement, il échappe aux circonstances. Plus le trait a l'air absurde, plus long est son trajet et plus profonde l'entaille qu'il réalise dans le temps. Que ce jeu de mots inscrit dans un texte du XVIème sicèle continue à nous faire sourire et à nous interroger sur notre nature sémantique, voilà qui indique bien quelle peut être la puissance de la littérature lorsqu'elle fait de la langue l'objet de sa réflexion.

2.
"avoir l'agrément des dominos" : expression que je tire du jeu de mots du latin de sotte-cure que l'on trouve dans Pantagruel, au chapitre XVII : "- Grates vobis dominos", dist-il [Panurge]", ce qui signifie à la fois "que grâces vous soient rendues, Monseigneur" et "les dominos vous sont agréables" (lis-je dans une note p.174). Pour ce qui est de la traduction : "Quant aux dominos, vous pouvez vous gratter", elle est évidemment fautive.

3.
"lifrelofre" (Pantagruel, II, p.41) : le lifrelofre est un "ignorant". Ce qui nous importe ici, ce sont les lifrelofres à diplômes, lesquels souvent s'offrent à expliquer ce qu'ils ignorent. Ils sont pour cela fort appréciés, publient des livres, passent dans les étranges lucarnes et laissent leurs paroles courir sur les ondes. Parmi eux, sont fort remarquables certains experts en sciences de l'éducation, qui, bien que n'ayant jamais enseigné (ou si peu, ou à un public universitaire assez civil pour ne pas leur rire au nez), ont cependant une vision très formidable, fortement argumentée et illustrée d'exemples qu'ils tirent des ouvrages d'autres fort sots de leur connaissance. Ayant réussi à persuader ces autres lifrelofres, que l'on nomme politiques, de la pertinence de leurs thèses, ils firent tant que réformes, sur-réformes, contre-réformes, travaillèrent si bien le champ des possibles éducatifs français que nul aujourd'hui n'y retrouve ses petits, et que l'on s'apprête, en désespoir de cause, à abandonner une partie de la formation professionnelle au plus réaliste système de l'apprentissage, et ceci en vertu du théorème de la patate chaude qui ne saurait rester dans les mêmes mains trop longtemps sans brûler les doigts du maladroit qui ne sait pas s'en débarrasser.

4.
"Or notez que le lendemain estoit la grande feste du sacre, à laquelle toutes les femmes se mettent en leur triumphe de habillemens" (Pantagruel XXII, p.217) : Le triomphe du corps, c'est la façon dont il est vêtu. Aussi, on peut se réjouir à l'idée que les femmes, les jeunes femmes, les donzelles, belettes, gonzesses, gisquettes aient à coeur de se mettre à leur avantage et de se mettre, comme l'écrivit Rabelais, en "leur triumphe de habillemens", ahdoncque l'on peut s'imaginer des feux d'artifices d'étoffes, de soieries magnifiques, de couleurs à faire pâlir les couleurs qui n'ont pas l'heur d'être portées par d'aussi heureuses souplesses de corps, lesquels imaginés rehaussés de mirifiques et merveilleuses prunelles comme mirabelles au dessert cependant que l'on notera, ainsi qu'il nous est demandé de noter que ce grand déballage de beauté fut fait à l'occasion de "la grande feste du sacre", c'est-à-dire, nous dit une note, "la Fête-Dieu", bien que cela ne nous fasse ni chaud aux oreilles ni froid aux dents et que cela pourrait bien être la Saint-Glinglin, la Saint-Frusquin, la Saint-Quinquin, et même la Saint Beinbein, cela n'enléverait rien à la fantaisie qu'il nous prend d'imaginer les robes aux motifs entrelacés de lierre et de roses, de tigres et de tapis, de lapis et de lazulis, de portes aux clés de verre et de rébus à yeux de chat embusqué.

5.
"Je ne suis poinct clerc pour prendre la lune avecques les dentz" (Pantagruel, XII, p.129)
Il est vrai que plume rêve et décroche ainsi tous les trésors de Pampelune et toutes les trésories d'El Dorado, et que c'est tout l'art du clerc de faire possible d'impossible et que bonne plume donne de la voix au politique cependant que sont souvent oubliées les colonnes des réalités chiffrées et pourtant, il y a que nécessité fait loi et qu'en dépit des chiffres, certains ont poussé la vision si loin qu'ils ont pu donner l'air de vouloir décrocher la lune avecques les dentz, et le plus étrange est que parfois ils réussissent avec certes, larmes, sang et sueur.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 18 octobre 2012

 

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