COMMENT VOUS VOULEZ DIRE ?

COMMENT VOUS VOULEZ DIRE ?
Notes sur l'Iphigénie de Racine

1.
"Ce héros, qu'armera l'amour et la raison"
(I, 1, v.99 [Arcas à Agamemnon])
Ce héros, c'est Achille. Contre l'irrationnel - le sacrifice de sa propre fille afin que les vents se lèvent - Arcas, en bon conseiller, rappelle à Agamemnon que l'amour et la raison sont du côté d'Achille contre le devin Calchas.

2.
Devin ne vaut pas bon vin (maxime vinicole).

3.
"Aegine, il faut des dieux apaiser la colère."
(V, 1, v.1494 [Iphigénie à Aegine])
La colère : ce que l'on doit apaiser. C'est dans la colère que s'aiguisent les couteaux. L'alexandrin condense cette colère des dieux qui s'exprime par la bouche des humains.

4.
Il y a dans toute mise en oeuvre l'affirmation d'un absolu.

5.
"Ma fille toute seule était plus redoutable."
(IV, 7, v.1426 [Agamemnon])
C'est que l'on ne peut aimer que ce qui nous apparaît comme unique. La fronde d'Achille parasite cette unicité d'Iphigénie. L'amour filial ne relève plus alors de l'intime mais devient affaire d'Etat. Le sentiment est devenu politique, décidant la fermeté d'Agamemnon (cf les vers 1429 à 1432) :
"Ne délibérons plus. Bravons sa violence.
Ma gloire intéressée emporte la balance.
Achille menaçant détermine mon coeur :
Ma pitié semblerait un effet de ma peur."

6.
"Vaut mieux garder secret ce qui nous unit" dit l'alien au spationaute plongé dans l'intergalactique jusqu'à la moelle.

7.
"Songez-vous aux malheurs qui nous menacent tous ?"
(I, 2, v.183 [Ulysse à Achille])
Qu'ils ne puissent pas aller trucider du Troyen. Sinon, sur la planète Sinon, une pieuvre gigantesque, gigaéléphantesque, agite ses longues longues longues tentacules cependant qu'un général à quatre lampions et trois chardons lunaires exhorte le président à réagir et à lui balancer, au big fat octopus, quelques missiles dans la rotondité :
"Songez-vous aux malheurs qui nous menacent tous ?
Il est temps, Président, de farcir l'octopus.
Sous peine d'éclater, faudra bien qu'il recule...
Allons ! qu'on en finisse et qu'enfin on...

LE PRESIDENT :
Merci,
Général, mais songez qu'en éclatant, la bête
Pourrait en mille bouts nous tomber sur la tête,
Et vu la taille du bestiau, gaffe au carnage !"

8.
"Grands dieux ! à son malheur dois-je la préparer ?"
(II, 2, v.551 [Agamemnon])
Fichtre ! Comment c'est-y qu'il va s'y prendre, le roi des rois, pour expliquer à sa fille chérie qu'on doit la refroidir afin qu'ils se lèvent les vents, et qu'enfin elle flotte, la flotte grecque, vers la perfide Ilion, et qu'on la récupère, Hélène, et qu'on le châtie, le Pâris, tout ça pour que, quelques siècles plus tard, un tas de mômes plus ou moins éveillés, dans la lourdeur poussièreuse des salles de classe et la digestion des cantines, bachottent les splendeurs de l'Iliade.

9.
Le cynisme, bah... une manière d'être dans le réel en lui rentrant dedans.

10.
La conscience est radicalement à distance du réel que, par le langage, elle façonne et organise.
Les paradoxes quantiques sont à distance de la manière dont nous utilisons quotidiennement les objets.
C'est sans doute parce que la conscience est elle-même infiniment quantique que nous sommes si humainement étrangers à ce monde où, paradoxaux et complexes, nous circulons.

11.
"Comment vous voulez dire ?" est une réplique employée à plusieurs reprises (me semble-t-il) par le Perceval de la série Kaamelott (Alexandre Astier and co). Il y a dans cette question plus de philosophie que l'on n'y pourrait croire. Ce n'est pas tant ce qui est dit (et qui est déjà plus ou moins attendu) que la manière dont on le dit qui importe. Nous aimons la musique pour la manière dont elle illustre. Dès que la musique se fait trop musique (dès qu'elle s'impose à la conscience comme une radicalité), elle nous fascine ou nous fait fuir.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 novembre 2012