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BLOG LITTERAIRE
1 décembre 2012

EN FAIT

EN FAIT

1.
Les faits sont têtus en ce qu'ils défient le faire.

2.
Si les philosophes actuels se disent "de gauche" - en tout cas, pour beaucoup d'entre eux - c'est qu'ils s'en tiennent au "deux et deux sont quatre, Sganarelle, et quatre et quatre sont huit" du Dom Juan de Molière, et qu'ils refusent d'admettre que, dans la vie réelle, deux et deux font cinq - ou trois - selon que l'on gagne ou perde de l'argent. S'en tenant à ce fait, ils en tirent la conclusion que le capitalisme est injuste. La belle affaire ! Evidemment que oui. C'est que la justice n'a pas pour but de faire disparaître l'injustice, mais a pour but de gérer le plus justement possible cette injustice qui règne entre les humains et dont les causes sont si complexes, qu'elles transcendent la rareté naturelle des choses pour une confusion des sentiments et des valeurs qui fait l'humain plus romanesque qu'administré, plus sujet qu'objet, plus acteur que spectateur.

3.
Un fait, c'est l'inscription d'un événement dans un présent de vérité générale. Ainsi ne sombre-t-il pas dans la bouillie du passé. 

4.
Si les tenants des "sciences humaines" tiennent tellement aux faits, c'est qu'en promulguant leurs découvertes au rang de vérités, ils prétendent garder ce statut de sciences que leurs conclusions pourraient démentir.

5.
Un fait n'est un fait qu'à partir du moment où on le considère comme tel. Qu'il y ait quelque chose est un fait. Mais sans les mots pour le dire, qu'il y ait eu quelque chose ou rien du tout revient au même. C'est, de fait, la conscience réflexive qui établit le fait qu'il y a quelque chose. C'est le de fait qui, le disant, fait le fait. Et non je ne sais quel faiseur, cet effet sans cause et créateur de toutes causes, on se demande bien pourquoi d'ailleurs.

6.
Si les faits se caractérisent par leur objectivité, cette objectivité est cependant dynamique (et non statique), en ce que son interprétation change selon l'expertise. Ainsi, j'ai pu relever que mon médecin de famille et mon cardiologue disaient des choses contradictoires sur le même fait, qu'ils caractérisaient pourtant tous deux de manière identique. Comme je suis plus logique qu'on le croit généralement, j'ai considéré que de deux propositions contraires, l'une au moins n'était pas fausse (j'aime beaucoup ce paradoxe soulevé par les mathématiques et qui flanque un assez définitif coup de pied aux tenants de la logique ordinaire), et j'ai donc tenu un compte assez relatif de l'avis des deux en me disant que la médecine n'est pas toujours aussi exacte qu'elle le prétend, c'est-à-dire qu'en fait, sa complexité transcende la relative faiblesse de ses praticiens. En fait, je me suis rangé à l'avis du généraliste contre l'avis du spécialiste, cependant que c'est le spécialiste qui peut-être me sauvera la mise.

7.
On présente maintenant l'expansion de l'univers comme un fait. Un fait qui n'a pas fini de se faire, et donc d'être absolument établi. Le plus curieux, c'est que ce fait se fait dans le non-fait. Car le fait qu'il y ait quelque chose prouve en soi qu'il n'y a pas rien et cependant s'il y a expansion c'est dans quoi qu'on se demande ? Serait-ce qu'on s'interpénètre avec un autre univers? Un univers contingent, affluent, perpendiculaire, ou bien quoi ? Ou se pourrait-il que la géométrie creusât dans le néant ? A moins que ce ne soit le néant qui creuse dans la géométrie ? A moins qu'il ne puisse y avoir de géométrie sans néant, et inversement, puisque, de fait, plus qu'un ordre des choses, il semble plutôt qu'il y ait chaos (rien et non-rien), chaos auquel la grammaire donne un sens, un ordre, et donc une histoire, ce qui est à la fois fatal et magnifique.

8.
Qu'il y ait rien et non-rien est signifié par la mort qui fait d'une énergie vitale un squelette dans un cimetière. Le vif, une fois mort, n'est plus rien en tant que vif. La mort n'est pas la transformation du vivant en cadavre, c'est l'anéantissement d'une conscience.

9.
Le fait n'est pas la chose. Un sandwich au pâté est une chose, un étant comestible posé sur une assiette. Que ce sandwich ait été préparé par ma compagne est un fait. Le réel, c'est de la chose, de l'en-soi brut, sans cause ni effet. C'est l'humain qui en fait son fait, jusqu'à parfois prendre fait et cause (elle n'a pas mis de cornichons dans le sandwich alors que j'aime tant ça, mais elle trouve que ça ferait un peu beaucoup de cornichons autour du même sandwich). 

10.
La culture consiste pour l'humain à faire son fait de la nature des choses.

11.
Ce n'est pas le fait lui-même qui est significatif, c'est sa présentation. Ce qui entraîne la décision, c'est le parti pris de présenter les faits de telle ou telle manière. Ainsi, l'historien choisit presque toujours de présenter les faits qu'il étudie en fonction du but qu'il veut atteindre : présenter Napoléon comme un aventurier cynique par exemple, ou au contraire, présenter L'Empereur comme un "despote éclairé". C'est que l'historien le plus scrupuleux est en butte, comme tout scribe, à la grande diversité des figures, des voix, des modes, des niveaux de langue, qui tissent entre les substantifs ces réseaux de sens qui influencent, parfois à son insu, l'auteur et son lecteur.

12.
C'est dans les faits que se tient l'être, c'est-à-dire que l'être se manifeste par le fait. Et si les faits sont têtus, c'est que l'être est têtu et qu'il résiste au non-être comme le quelque chose au plutôt que rien.

Pour de plus profondes cogitations, je vous conseille le site du philosophe Jean-Pierre Lalloz (www.philosophie-en-ligne.com) et son analyse de ce qu'est un fait (en particulier la partie intitulée "Le fait et l'événement"). 

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er décembre 2012

 

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