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BLOG LITTERAIRE
19 décembre 2012

FAIRE LIEU D'ÊTRE

FAIRE LIEU D'ÊTRE
Notes de lecture sur la cinquième partie du recueil Là où leur chair s'est usée, de Jean le Boël, Les Ecrits du Nord / Editions Henry, 2012.

1.
J'ai déjà évoqué le réalisme poétique de Jean Le Boël. La cinquième suite du recueil en offre, dès l'ouverture, un fort bon exemple. Il s'agit de la description d'un arbre qu'il serait temps d'élaguer. Cet arbre, mais cela le poème le révèle sans que Jean le Boël le mentionne, le suggère, y fasse allusion, cet arbre est du bois dont on fait les gens.

2.
L'énigme de la "grande ombre" s'impose à la page 82. Les textes des pages 82-83 se font d'ailleurs plus énigmatiques ; la phrase se coupe, se perd dans le blanc du papier :

"paysages humains
si le regard s'y peut poser

suis-je lent

ce que tu es mon corps l'éprouve pourtant"

En ce qu'elle est énigme, son sens nous échappe. Reste la mélodie, percussion, touches, piano... syllabes.

3.
Ce "il n'est de bonheur qu'à s'y perdre", que je trouve page 84, me ravit. C'est que vivre consiste à s'y perdre, justement, à perdre ce que l'on avait cru pour ce que l'on a pu.

4.
La répartition "dire" "nuit" "nuit" "ne parle pas", qui constitue les deux derniers vers du texte de la page 85, trace la limite de ce que l'on peut dire. C'est bien beau la poésie, mais il y a la nuit, la vraie nuit des humains, celle, par exemple, des deux guerres mondiales, celle de la dernière solitude aussi.

5.
J'ai écrit à propos du vers "l'arbre écrase le ciel" (page 86) que c'est ainsi que la créature déracine son créateur. Cela me semble confirmer par le vers qui précède : "seul l'homme survit à l'homme".

6.
Poésie est réflexion sur la langue. Le réel est mis en mots. Le réel n'est que mis en mots. Ainsi, nous sommes ce que nous croyons être et aussi ces habitants "dans la voix des autres", dont on parle, et sur qui l'on fait agir le réel. Qu'est-ce que le réel  ? - Une machine actionnée par les humains pour mutuellement se manipuler.

7.
Une étonnante question, page 88, et un bel aphorisme encore. Page 89 : de la nécessité de l'amour qui emprisonnne et réconcilie.

8.
Ce qui fait signe, l'autre monde. Ce que le poème appelle "l'autre rive", qui trace le fleuve invisible. Nous voudrions y croire que nous ne le pourrions. Et pourtant, nous interprétons, ce qui est déjà une manière de deviner un monde derrière un signe.

9.
La poésie qui m'intéresse est riche en expressions. Je relève ainsi, page 91, un prometteur "ce qui fera ventre en vous". Et puis, page 92, celle-là que décline le poème : "jouer à se parer". Héritage et comédie. Voilà le fond de l'affaire.

10.
Le fragment de la page 93 est remarquable par sa musicalité : "si lisses ces", "enfance", "si", "aussi", "tissu rêche", "désarçonnées". Vous irez voir comment le poète répartit les sifflantes jusqu'aux trois syllabes de la séquence "tissu rêche", dans laquelle les consonnes intensifient l'effet sonore, passant ainsi, via le passage de l'alvéolaire "s" à la post-alvéolaire "ch", de l'impression de lisse qui se dégage des "mains" du "vieillard" au frottement du tissu; intensification aussitôt désarmorcée dans l'adjectif "désarçonnées", où la sourde est tempérée par la sonore.

11.
Les choses retracent les gens. C'est la leçon de la page 94. Leçon qui devient interrogation dans la page suivante : "que font / les choses quand nous ne les nommons pas". C'est que les choses tendent à échapper à leur nom. C'est pour cela sans doute que nous parlons tant, que nous n'avons de cesse de nommer, de nomenclaturer de l'infiniment petit à l'infiniment grand, de manière à rappeler toujours et encore au réel qu'il est ce que nous disons.

12.
Nous savons bien pourtant que si au commencement était le Verbe, il ne sera plus finalement que le vent.

13.
La notation, le croquis, "ce flux de sang aux joues des jeunes gens", le lexique assez chrétien, somme toute, du "nombre", du "pain", et du "partage", et l'espoir mis en la maison refaite, renouvelée, rejaillie, placent les derniers textes du recueil dans une perspective d'espérance. Pour cette espérance aussi, nous finirons par jalouser le poète, nous qui voyons dans l'oiseau le serpent et dans chaque chair un squelette.

14.
"là où leur chair s'est usée"... une périphrase pour le lieu d'être.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 19 décembre 2012

 

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