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BLOG LITTERAIRE
21 décembre 2012

LA LANGUE C'EST DE LA PÂTE A FABLES

LA LANGUE C'EST DE LA PÂTE A FABLES
Fascinations rimbaldiennes

1.
L'expression "sous le rideau flottant" (cf Arthur Rimbaud, Les Etrennes des orphelins)... me fait toujours songer à l'être des lieux vidés de leurs usages habituels. Le couloir n'est pas moins couloir quand il n'est pas emprunté. Mais, à vide, le couloir semble se remplir d'être. Si, en plus, il y a là-dedans du "rideau flottant", me vient assez vite l'idée que les lieux vides sont forcément hantés, c'est-à-dire visités par l'être.

2.
Dans ce poème des Etrennes des orphelins, "Les petits sont tout seuls en la maison glacée". De là à ce qu'il leur vienne l'idée de faire du feu... suffirait qu'ils trouvent des alumettes et Crac Boum Vlam c'est parti... Le poème de Rimbaud, évidemment, en aurait été fort différent.

3.
Plus loin, il est question d'une "grande armoire", je cite :
" - L'armoire était sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange !... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois"
Il y a peut-être un cadavre dans ce placard... ou de l'argent planqué... de l'or peut-être... ou alors, cette "grande armoire" est une porte vers un autre monde... Je regrette que Rimbaud n'ait pas profité de l'occasion pour nous composer un beau récit fantastique où les orphelins ouvrant cette sans clefs la grande armoire se retrouvent tout de go dans un univers parallèle, avec des lapins qui courent après le temps des hommes, et des bêtes d'une élégance fabuleuse discourant de la force des choses et du couteau des paradoxes.

4.
"On dirait qu'une fée a passé dans cela" : J'admire ce vers, cet écho de l'assonance que souligne le rythme ternaire, et le référent existentiel que je pressens dans ce "dans cela", qui, pour moi, désigne cet être-là avec et dans lequel je vis. Je note que c'est justement ce "dans cela", cet être-là de ce que je perçois, qui nous fait évoquer fées, fantômes, consciences aigues. Le réel est magique en ce qu'il induit la toute puissance du langage.

5
Dans les deux quatrains du poème Sensation, on lit ce célèbre vers :
"Mais l'amour infini me montera dans l'âme"
J'ai, on le sait, peu de goût pour ce qu'un bon auteur appelle "les mots-trombones", tels que "l'amour", "l'infini", "l'âme", tant ils me semblent si difficiles à définir, ces mots, qu'ils en sont tout vaporeux. Et je ne doute pas qu'ici l'emploi du futur dans la forme "montera" n'ait pas d'autre but que de signaler au lecteur de mauvaise foi (espèce à laquelle je me félicite d'appartenir) que l'amour et l'infini sont en train de lui monter dans l'âme, à l'Arthur, afin qu'ils lui ressortent par la bouche.

6.
On trouve d'ailleurs un écho de cette ontologique nausée dans le poème intitulé "Soleil et chair", je cite :
"Et tout croît, et tout monte !"
M'est avis qu'il y eut jadis une de ces bamboulas de tous les dieux, qui, ivres du vin noir des ténèbres, se mirent à créer des mondes délirants, grotesques et nombreux, qu'ils jetèrent sur la toile du ciel. Et leur gueule de bois, aux dieux, c'est nous.

7.
Dans le même Soleil et chair, ce vers :
"Je regrette les temps de l'antique jeunesse"
Bel oxymore que celui-là : "antique jeunesse", qui renvoie à un temps d'avant le temps, à l'actualisation par le langage de ce qui fut, ou plutôt du fantôme de ce qui fut.

8.
Je pense aussi que si " et tout croît, et tout monte", c'est que peut-être le monde est plein d'une pâte, parfois appelée pâte à physique, dans laquelle, d'éternité en éternité (éternité pour nous, bien entendu - pour eux, le temps est autre), un dieu cuisinier plonge sa grande louche, et se fait une crêpe.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 21 décembre 2012

 

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