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BLOG LITTERAIRE
29 décembre 2012

NOTES SUR LA PREMIERE PAGE D'UNE SAISON EN ENFER

NOTES SUR LA PREMIERE PAGE D'UNE SAISON EN ENFER
Les citations du texte d'Arthur Rimbaud figurent ici entre guillemets et/ou en italiques.

1.
Le narrateur d'Une saison en enfer commence par évoquer son jadis (1er mot du texte et convocation d'un passé fabuleux, un passé "festin où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient").

2.
Cette situation initiale est perturbée par l'événement suivant :
"Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée." Où l'on voit que Rimbaud a commencé par composer son texte sur le modèle du conte.

3.
Comme il avait commis une sorte de délit, puisqu'il avait injurié la Beauté, il s'est donc trouvé dans la nécessité de s'armer contre la justice, et même de s'enfuir, confiant son trésor aux "sorcières", à la "misère" et à la "haine" :
"Je me suis armé contre la justice.
Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !"
Notons que c'est là courir un grand risque que de faire confiance aux sorcières, à la misère et à la haine. Le narrateur veut-il ainsi signifier qu'il n'avait pas d'autre choix, que les mages bienveillants, la fortune et l'amour auraient refusé de lui rendre ce service. C'est qu'il a insulté "la Beauté", c'est-à-dire l'en-soi, et donc l'être lui-même.

4.
C'est ce diable de Céline, dans cette espèce de "saison en enfer" que fut une partie de son existence, qui évoque un trésor enfoui et dérobé. Il est curieux de constater que l'auteur du Voyage au bout de la nuit a lui aussi confié un trésor aux sorcières, à la misère, à la haine. Les liens entre le narrateur célinien, qui s'est réellement perdu dans la noirceur de sa légende, et l'auteur de l'infernale saison, qui a fini par révoquer la sorcière de l'écriture pour refaire sa vie ailleurs, sont certainement assez étroits. Ces deux écrivains ont eu en commun l'errance, le départ volontaire et l'exil forcé ; ils ont aussi tous deux voulu rythmer l'écriture, la musiquer, l'enluminer, l'illuminer, comme si tous deux s'étaient persuadés qu'il y avait réellement une "alchimie du Verbe" assez puissante pour transcender ici et maintenant le réel le plus décevant .

5.
Puisqu'il s'est lui-même mis au ban de l'humain, en doutant de son être, il faut bien qu'il fasse "s'évanouir dans son esprit toute l'espèrance humaine". Ainsi se fait-il "bête féroce" et, souple comme jaguar totem, il bondit sourdement "sur toute joie pour l'étrangler."

6.
Le voilà bête assez férocement désespérée pour appeler les bourreaux, et, "en périssant, mordre la crosse de leurs fusils." Bête d'orgueil, le rimbaldien, tendance christique : "J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang." Ce sable et ce sang, c'est la guerre sans doute ; c'est le sable du temps qui boit le sang des hommes.

7.
Je disais tendance christique. Il y a de ça dans l'errant rimbaldien, avant qu'il se décide à envoyer valser la valseuse écriture aux mains d'autres écrivains ; c'est qu'il a dû galérer, le bonhomme. "Le malheur a été mon dieu" qu'il dit. Christ d'un dieu de malheur donc, à s'en allonger dans la boue, à s'en sécher à l'air du crime, à en jouer de bons tours à la folie.

8.
Mais à Pâques, il n'y eut pas de résurrection, il y eut "l'affreux rire de l'idiot."

9.
Bête, d'un orgueil fou, idiot, le voilà bien près, en effet, "du dernier couac !". Il serait temps alors de retourner au jadis initial, au "festin ancien" car il a perdu l'appétit pour les choses présentes, et rêve de la clef qui lui rouvrirait son passé.

10.
Le festin ancien, c'est celui des Noces, celles de Canaa, d'autres encore, celles du miracle et de l'humain. Il y a un mot pour cela, c'est "la charité". Est-il idiot vraiment ? La charité, l'empathie, la compassion, en voilà des humanités. Or, ce narrateur-là n'est plus humain depuis qu'il a injurié la Beauté et fui la justice des hommes. Il vit en hyène, c'est ce que lui rappelle celui qui tenta de l'endormir avec l'opium du peuple ; je cite : "Tu resteras hyène, etc...", se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots." Et ce démon - car c'est bien un démon qui inspire si mal les humains - de lui conseiller, puisqu'il se refuse à céder devant la charité, de ne plus chercher à gagner sa vie, mais à se tourner vers le néant ; je cite : "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."

11.
"Ah ! j'en ai trop pris" s'écrie-t-il, le rimbaldien... pris de quoi ? - Des "aimables pavots". Il dira plus loin dans la saison qu'il a "avalé une fameuse gorgée de poison." Tant pis, damné, condamné... qu'il aille au diable, à "Satan" et "sa prunelle irritée"... Mais il sait tout cela car il peut l'écrire... Seuls les écrivains qui n'égarent pas leur énigme dans les "facultés desciptives ou instructives" peuvent s'adresser directement à Dieu, à Satan, c'est-à-dire à l'être lui-même pour dire combien l'humain se sait damné.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 décembre 2012

 

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