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BLOG LITTERAIRE
1 janvier 2013

VENT INCONNU SOUFFLE LA NUIT

VENT INCONNU SOUFFLE LA NUIT
Notes sur le poème "Le Feu du ciel", de Victor Hugo, in Les Orientales. Les citations sont entre guillemets et/ou en italiques.

1.
Dans le premier poème des Orientales, "Le Feu du ciel" (ciel!) Victor Hugo se demande si "la nuée au flanc noir" qu'on est censé voir passer - alors qu'on a autre chose à faire - "Tantôt pâle, tantôt rouge et splendide à voir" ne serait pas par hasard "le char de feu qui porte des démons / A quelque planète prochaine ?". Une sorte de navette donc, qui trimballe des démons d'une planète l'autre, afin qu'ils puissent faire leur job de démon, provoquer des conflits, des crises boursières, promouvoir du rap, voter socialiste. Nous, sur la terre, on est tranquille, on sait faire s ans... les démons, je veux dire... on se débrouille très bien tout seul.

2
Dans la partie II du poème "Le feu du ciel" (Ciel!), Hugo évoque la mer ("La mer ! partout la mer ! des flots, des flots encor"). C'est que notre terre, c'est d'l'eau surtout. Avec des poissons et des noyés dedans. C'est une réciprocité. A poisson mangé, noyé bouffé.

3.
En vers de sept syllabes, je relève dans la partie III, ceci d'enthousiasmant :
"Les vierges aux seins d'ébène,
Belles comme les beaux soirs,
Riaient de se voir à peine
Dans le cuivre des miroirs"
Ce qui les fait rire, c'est que le réel déforme leur image, soumet leur beauté au traitement de l'anamorphose, à l'indifférence du cuivre. Auraient-elles le même rire, ces filles, si elles se miraient telles qu'elles sont ? Peut-être s'admireraient-elles ? Ou se trouveraient-elles des défauts ? Ou elles riraient tout de même de se voir si belles en ces miroirs.

4.
Victor Hugo a l'art du détail inattendu. Ainsi, dans la partie IV, ces vers surprenants :
"On entendait mugir le semoun meurtrier,
Et sur les cailloux blancs les écailles crier
Sous le ventre des crocodiles."
Franchement, vous y penseriez-vous ?  Au frisson des herbes sous l'ondulation de la vipère ; au clapotis sous le saut du crapaud ; au claquement de la tique que l'on fait éclater dans un bout de papier enflammé ; au frottis de la moustache sous le peigne ; au grincement du dentier de l'archiduchesse qui constate consternée que ses chaussettes ne sont pas sèches ; au pet de nonne dans la vitrine, oui, à ça, on peut y penser, ça fait partie des choses raisonnables mais le cri des écailles du crocodile qui se meut sur les cailloux blancs, franchement, faut avoir la tête à Totor pour y penser, à ça.

5.
J'ai une faim à manger un loup ; ça tombe bien, il fait un froid à faire cuire un canard.

6.
Dans la partie V, ce sont des caravanes qui passent (donc des chiens aboient), des caravanes "D'Ophir ou de Membré" et sans doute d'autres noms à faire rêver, et puis il y a un "oeil  de loin", qui "suit leur foule / Qui sur l'ardente houle / Ondule et se déroule / Comme un serpent marbré." L'effet sonore induit par la séquence "houle ondule et se déroule" est épatant. La prononciation semble se délier après la dureté du "h" et, plus fluide, glisse, par la grâce de la liquide "l", d'une modulation l'autre ("houl", l'on", "ule", "roul"). Ne dirait-on point quelque serpent ondulant sur la dune ? - Si fait, si fait, me répondit le cobra.

7.
Partie VI, Hugo évoque la "spirale infinie" de la tour de Babel, c'est que "sur le globe entier Babel devait un jour / Asseoir sa spirale infinie." L'infini... l'infini... ce qui ne peut se dire qu'avec des symboles... d'ailleurs, le réel, qui est une tension vers l'infini, lui aussi ne peut se dire que par des symboles, et ne peut se calculer que par des chiffres. La lucidité, c'est la maîtrise des symboles, et non pas cette fameuse connaissance que les mystiques cherchent dans la méditation. L'humain tend à maîtriser le réel symbolique, à l'utiliser comme outil de production, et c'est ainsi qu'il transforme ce qu'il appelle le réel. Mais rien ne se révèle à lui que ce qui relève des symboles. Le monde est sans connaissance.

8.
Dans le même passage, évoquant les ruines de Babel :
"Des éléphants passaient aux fentes de ses murs" écrit le génie. Ce qui me fait penser à l'expression "passer comme un éléphant à travers une fente." On peut donner à cette expression plusieurs sens. Ainsi, elle peut signifier que l'on force un passage, ou encore que l'on est très maladroit (à rapprocher donc du fameux "éléphant dans un magasin de porcelaines).

9.
Dans la partie VII, on peut noter que "l'oeil perdu" s'effraye des "profonds détours" que font les ponts, les aqueducs, les arcs et les rondes tours. C'est que, lorsqu'on laisse vadrouiller son oeil dans les couloirs, il faut s'attendre à ce qu'il se perde. Aussi, moi, je ne le laisse sortir que tenu à ma personne par un fil invisible qui ne tranche même pas les ombres.

10.
La partie huit est composée en vers de cinq syllabes. Voilà qui zèbre le ciel poétique des éclairs de la nuée qui éclate. Ce ne sont pas seulement des éclairs, mais des langues de feu qui jaillissent des "gueules" de "l'ardente nuée", je cite :
"Gomorrhe ! Sodome !
De quel brûlant dôme
Vos murs sont couverts !
L'ardente nuée
Sur vous s'est ruée,
O peuple pervers !
Et ses larges gueules
Sur vos têtes seules
Soufflent leurs éclairs !"

11.
"Se peut-il qu'on fuie
Devant l'horrible pluie ?"
Déjà quand il flotte dru et qu'on est tête nue, voilà qu'on s'abrite, alors pensez, s'il pleut du feu...

12.
"En vain quelques mages
Portent les images
Des dieux du haut lieu"
Oui, ça, on a beau faire, on a beau dire, c'est pas une image qui empêchera le rat de bouffer le fromage.

13.
Le passage de la mort du grand prêtre est saisissant :
"Le grand prêtre arrive
Sur l'ardente rive
D'où le reste a fui.
Soudain sa tiare
Prend feu comme un phare,
Et pâle, ébloui,
Sa main qui l'arrache
A son front s'attache,
Et brûle avec lui."
Morale, quand on a la cafetière grosse comme un phare, on finit par se cramer.

14.
Le dernier vers de cette partie :
"L'enfer dans les cieux !"
Vrai, quand on "croit voir l'enfer dans les cieux", c'est que bientôt on va les paumer, ses yeux, et puis tout le reste autour.

15.
Dans la partie IX, il y a un "étrange mystère", d'un "grand bruit qui remplit le monde épouvanté". Je me demande ce que c'est qu'un mystère pas étrange. Un mystère familier. Remarquez qu'on vit au milieu de ces mystères familiers que sont les autres. Des fois, c'est quand même bien bizarre, les autres. Et soi-même, des fois, ce qu'on est étrange, qu'on se sent quand même pas bien en accord avec soi-même... qu'on dérive vers cet autre-là qu'on aime pas tant, pourtant.

16.
Dans la dernière partie, la X, cette "ardente nuée" qui fit bien des dégats alors est renommée "vent inconnu qui souffla cette nuit." Vent inconnu souffle la nuit. Ce qui peut se comprendre comme on voudra.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 1er janvier 2013

 

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