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BLOG LITTERAIRE
7 janvier 2013

NOTES : SCENE 1 DE L'ACTE I D'IPHIGENIE DE RACINE

NOTES : SCENE 1 DE L'ACTE I D'IPHIGENIE DE RACINE

1.
Résumé de la scène 1 de l'acte I : Agamemnon fait part à son conseiller Arcas de la volonté des dieux révélée par la bouche du devin Calchas : s'il veut que les vents se lèvent et permettent à la flotte grecque de prendre le large et d'attaquer la ville de Troie, il lui est ordonné de sacrifier sa fille Iphigénie. Convaincu par Ulysse d'obéir aux dieux, il se fait passer pour Achille dans un message qu'il envoie à son épouse Clytemnestre et à sa fille, leur demandant de venir de Mycènes en Aulide où les noces de la fille d'Agamemnon et du guerrier Achille seraient alors célébrées. Se ravisant, Agamemnon décide de sauver sa fille en envoyant Arcas lui enjoindre de rentrer à Mycènes, mentant une fois encore en suggérant qu'une jeune captive, Eriphile, aurait désormais les faveurs d'Achille.

2.
Agamemnon commence par réveiller Arcas :

"Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille.
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille."
(vers 1-2

Puis il se plaint :

"Heureux qui satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché !"
(vers 10-12)

Souhaiter "l'état obscur" quand on est en pleine lumière, et sur le point de partir en campagne (la guerre de Troie), c'est plutôt pas bon signe. Voilà qui alerte Arcas :

"Et depuis quand, Seigneur, tenez-vous ce langage ?
Comblé de tant d'honneurs, par quel secret outrage
Les dieux, à vos désirs toujours si complaisants,
Vous font-ils méconnaître et haïr leurs présents ?"
(vers 13-16)

On peut noter qu'Arcas soupçonne un "outrage des dieux", un coup fourré divin, une mauvaise foudre.

3.
"Non, tu ne mourras point, je n'y puis consentir."
(vers 40)

C'est sur le ton de l'énigme qu'Agamemnon s'exprime ici. Il ne répond pas directement aux interrogations d'Arcas et prononce des mots surprenants, car, enfin, de quoi, de qui parle-t-il ? Arcas, bien sûr, ne peut le savoir, pas plus que le spectateur.
Le lecteur averti sait que celle qui ne doit pas mourir, c'est Iphigénie, la fille d'Agamemnon. On peut noter qu'en effet, Iphigénie ne mourra pas, mais qu'à cette mort programmée, Agamemnon finira par consentir, en refusant de soutenir Achille qui, le glaive à la main, fait rempart de son corps pour défendre Iphigénie contre Calchas et l'armée grecque :

"Achille fait ranger autour de votre fille
Tous ses amis, pour lui prêts à se dévouer.
Le triste Agamemnon, qui n'ose l'avouer,
Pour détourner ses yeux des meurtres qu'il présage,
Ou pour cacher ses pleurs, s'est voilé le visage."
(V, 5, vers 1706-1710 [récit d'Arcas])

4.
La littérature est le lieu d'être de l'énigme. En cela, elle donne sa pâture merveilleuse au philosophe. Ce qui revient à dire que le littérature est un gouffre à chimères où le philosophe va pêcher de quoi nourrir son miroir.

5.
Ce sont les dieux, par la bouche de Calchas, "devin attittré de l'expédition grecque contre Troie" nous dit la note, qui ont décidé le sacrifice d'Iphigénie. Ce qui intéresse les dieux, c'est que ce soit le père même d'Agamemnon qui ordonne ce sacrifice. Autrement dit, ce sacrifice là ne doit pas être secret, mais "auguste et solennel" (cf vers 58). Il y a donc double sacrifice : celui du corps d'Iphigénie qui devrait ensanglanter l'autel, et celui du père acceptant de perdre sa fille "Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie" (vers 60). C'est qu'il faut faire voile, et que les vents ne se lèvent pas.

6.
Convaincu par Ulysse de consentir à ce sacrifice, Agamemnon marque cette acceptation en se livrant à la ruse. Il envoie un message à son épouse Clytemnestre, pour qu'elle rapplique avec Iphigénie. La ruse, c'est qu'il signe ce message du nom d'Achille, cet "impatient" (cf vers 97) qui se brûle d'amour pour Iphigénie justement. Par ce macchiavélisme, Agamemnon se mouille, se compromet, et devrait savoir qu'il s'attirera la haine d'un guerrier légendaire. Il en a certainement conscience, le roi des rois, qui a ces mots :

"Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent ?
Achille va combattre, et triomphe en courant ;
Et ce vainqueur, suivant de près sa renommée,
Hier avec la nuit arriva dans l'armée."
(vers 107-110)

L'arrivée des protagonistes du drame est ainsi annoncée par Agamemnon et vont bientôt être réunis dans le huis-clos de la tragédie la fille sacrifiée (Iphigénie), sa mère (Clytemnestre), son promis trahi (Achille).

7.
Agamemnon, c'est celui qui s'enfonce : ainsi, se ravisant, il décide d'envoyer Arcas au-devant de Clytemnestre et de sa fille, afin de les empêcher d'arriver "dans l'Aulide" :

"Si ma fille une fois met le pied dans l'Aulide,
Elle est morte."
(vers 134-135)

Aussi, faut-il les décourager, les renvoyer à Mycènes. Et donc mentir encore :

"Pour renvoyer la fille et la mère offensée,
Je leur écris qu'Achille a changé de pensée,
Et qu'il veut désormais jusques à son retour
Différer cet hymen que pressait son amour.
Ajoute, tu le peux, que des froideurs d'Achille
On accuse en secret cette jeune Eriphile
Que lui-même captive amena de Lesbos,
Et qu'auprès de ma fille on garde dans Argos."
(vers 149-156)

Non seulement il ment, mais il jette une drôle de lumière sur les sentiments d'Achille. Il suggère en effet que "l'impatient Achille" ne serait plus si amoureux d'Iphigénie, et lui préférerait "cette jeune Eriphile". Il y a donc intrigue politique et dilemne éthique (Agamemnon doit-il suivre la raison d'Etat et l'ordre des dieux, en sacrifiant Iphigénie, ou doit-il suivre le sentiment qui l'attache à sa fille ? Doit-il, en préservant la vie de sa fille, renoncer à attaquer Troie, et peut-être même renoncer au pouvoir - cf :

"De quel front immolant tout l'Etat à ma fille,
Roi sans gloire, j'irais vieillir dans ma famille !"
(vers 77-78)

et aussi :

"Ceux même dont ma gloire aigrit l'ambition
Réveilleront leur brigue et leur prétention,
M'arracheront peut-être un pouvoir qui les blesse...".
(vers 139-141).

Il y a aussi, dès cette scène initiale, esquisse d'une intrigue amoureuse, puisque, de fait, Eriphile est effectivement amoureuse d'Achille, et donc rivale d'Iphigénie :

"Cet Achille, l'auteur de tes maux et des miens,
(...)
Est de tous les mortels le plus cher à mes yeux."
(II, 1, vers 472 et 476 [Eriphile à Doris])

8.
L'emploi de la forme "immolant" au vers 77 ("De quel front immolant tout l'Etat à ma fille") est intéressant en ce qu'il implique dans la réflexion d'Agamemnon l'idée d'une symétrie sacrificielle. Agamemnon est au pied du mur : ou il sacrifie l'honneur de l'Etat grec -et peut-être même son statut de chef-, ou il sacrifie sa fille Iphigénie. On pourrait être tenté de penser qu'Agamemnon se crée un faux dilemne : l'essentiel devait être pour lui de préserver Iphigénie, d'agir pour différer l'attaque de Troie, de prier les dieux, mais il s'enferme dans sa dualité homme d'Etat/homme privé et se fait ainsi le jouet de la volonté des dieux, la victime toute désignée, le bourreau.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 7 janvier 2013

 

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