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BLOG LITTERAIRE
14 janvier 2013

M'EVOQUE

M'EVOQUE
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Citations entre guillemets et/ou en italiques.

1.
"Puis les squelettes de glycines aux ficelles,
En proie à des rafales encore plus mesquines !"
(Complainte d'un autre dimanche)

Le mot "squelette" m'évoque les timbales d'une "danse macabre". C'est culturel : nous faisons danser les morts, eux qui, par définition, ne dansent pas. Une manière de souligner que la vie est une danse, que l'on se doit de danser, regardez, ils dansent bien, eux !

2.
Si vos poissons sont transparents, je ne m'étonne plus de voir à travers vous.

3.
Le mot "angle" est un multiplicateur. Je ne puis songer à ce mot sans que l'image cabocharde d'une forêt d'angles ne me vienne, une forêt d'angles, troncs d'angles, branches d'angles, feuillages d'angles, et puis, traversant la profondeur anguleuse de la forêt d'angles, un chevalier d'angles lui aussi, sur un cheval aux os pointus, aux yeux étrangement incandescents.

4.
"C'était un très-au vent d'octobre paysage,
Que découpe, aujourd'hui dimanche, la fenêtre"
(Complainte d'un autre dimanche)

Le mot "octobre", un poulpe dedans... un octopus... calamar froid qui s'éprend du paysage, s'y colle, s'y imprègne... humidifie tout, nous trempe l'os dans la hallebarde.

5.
"Ah ! qu'est-ce que je fais, ici, dans cette chambre !
Des vers."
(Complainte d'un autre dimanche)

Le mot "vers", des trous qu'il fait, dans nos corps comme dans le temps. Paraît qu'on pourrait prendre des raccourcis dans la page courbe du temps, tandis que, quand les vers nous trouent le cuir jusqu'aux os, c'est qu'on peut plus prendre aucun raccourci... jamais.

6.
Quand on fait boire à quelqu'un le bouillon de onze heures, il faut s'attendre à entendre grincer la charrette.

7.
"Puis les squelettes de glycines aux ficelles,
En proie à des rafales encore plus mesquines !"
(Complainte d'un autre dimanche)

Le mot "rafales", il souffle dans les cheveux, il tire les cheveux, les étire, tire, tire, tire jusqu'à ce que les têtes se décollent.

8.
"Quoi ! la vie est unique, et toi, sous ce scaphandre,
Tu te racontes sans fin, et tu te ressasses !"
(Complainte d'un autre dimanche)

Le verbe "ressasser" m'aplatit, me limande, me sprate, me rend mouvement reptilien, plein de noeuds qui montent et descendent, comme si j'avais avalé un escalier avec toute une foule dedans, une foule de visages que les sucs de l'oubli effacent peu à peu, après leur avoir fait subir tout un tas de métamorphoses.

9.
"Déchirer la nuit gluante des racines"
(Complainte du foetus de poète)
Si tu t'enracines, donneras-tu des fruits ? Il est vrai que certaines donnent des en forme de pomme, puis des en forme de poire.

10.
Donc, le narrateur laforguien voit des racines dans le ventre de sa maman : "Blasé dis-je! En avant / Déchirer la nuit gluante des racines, / A travers maman, amour tout d'albumine" dit-il dans sa Complainte du foetus de poète. Pas étonnant qu'il en soit tout déchiré, écorché, affolé chevalier sorti de la profonde forêt avant d'être guéri, et qui fol espère têter le soleil et faire dodo à les seins dorloteurs des nuages. Après il suffira de quelques angles, de quelque robe jaune au regard acide pour qu'il dégringole de sa rosse endolorie et se ramasse dans les fantoches, "Puis les squelettes de glycines aux ficelles, / En proie à des rafales encor plus mesquines !".

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 14 janvier 2013

 

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