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BLOG LITTERAIRE
20 janvier 2013

ET SI PREHISTORIQUEMENT NOSTALGIQUE

ET SI PREHISTORIQUEMENT NOSTALGIQUE
Fantaisies à propos de quelques citations tirées du recueil Les Complaintes de Jules Laforgue. Elles figurent ici, les citations, entre guillemets et/ou en italiques.

1.
Dans Complainte de l'automne monotone, le narrateur évoque le vent qui s'époumonne

"A reverdir la bûche où mon grand coeur tisonne."

Quelle image ! le coeur tisonnier et la bûche, c'est quoi ? Euh ? Le corps ? Une partie du corps ? C'est tout de même curieux. Mais c'est marrant.

2.
Si l'on fait du feu, c'est qu'il fait froid :

"Le vent, la pluie, oh ! le vent, la pluie !"

On a tant dit des intempéries, on a tant poétisé le blizzard, le soufflant et la flotte, que Laforgue ici renvoie les choses aux choses, le chat au chat, le vent et la pluie au vent et à la pluie. Ce qui n'empêche pas la musique :

"Cet ex-ciel tout suie, / Fond-il decrescendo, statu quo, crescendo ?"

Aimez-vous, comme moi, contempler le rythme de la neige ?

Ce qui n'empêche pas le croquis :

"Le vent qui s'ennuie, / Retourne-t-il bien les parapluies ?"

3.
Jules Laforgue flanque de l'ennui partout où Victor Hugo flanque du dieu, de l'âme, de l'esprit. C'est mélancolique flûtiau contre tonitruant trombone.

4.
Quand il fait froid et que le vent souffle l'ennui, vaut mieux rester chez soi,  à s'adonner à la synchronie du tabac et à la contemplation des traces du temps :

"- Allons, fumons une pipette de tabac,
En feuilletant un de ces si vieux almanachs"

La version moderne nous fait feuilleter de vieux magazines, des reliures de la revue A Suivre par exemple, retrouver les tics de langage d'il y a vingt ans, les publicités d'il y a vingt ans, les critiques des chefs d'oeuvre d'il y a vingt ans, les noms d'il y a vingt ans, le je ne sais quoi de l'esprit du temps d'il y a vingt ans. Des fois, on s'y bloque, on s'y fascine, ça m'est arrivé, ça, avec un vieux manuel de langue allemande où l'on trouvait de petites bandes dessinées et de dialogues, l'esprit du truc, c'est comme s'il cherchait à m'occuper vraiment l'esprit, à me prendre la tête, à me vampiriser l'imaginaire, à me sucer la raison, à me syndrome-de-Stendhaliser, comme pour m'emmener dans un temps qui n'existe pas.

5.
Un de mes distiques préférés dans Complainte de l'ange incurable :

"Où vont les gants d'avril, et les rames d'antan ?
L'âme des hérons fous sanglote sur l'étang."

Pleins d'être, ce temps déganté, cet étang débarqué, cette raison absentée, qui ne laisse de place qu'à l'âme.

6.
Le corps, un couteau dont l'âme n'existe pas, et qui est bien manche parfois.

7.
Il y a l'ironie aussi, la distance, le coucou moqueur du coeur :

"- Tant il est vrai que la saison dite d'automne
N'est aux coeurs mal fichus rien moins que folichonne."

C'est-y pas dandy, c'te manière ?

8.
"Coeur qui soupire n'a pas ce qu'il désire" dit-on communément. C'est qu'évidemment, ce n'est pas en soupirant qu'on s'attire ce qu'on voudrait.

9.
Quand il évoque l'en-dehors de la pluie, de la nuit qui bruine sur les villes, Laforgue devient vite délirant :

"Dégringolant une vallée,
Heurter, dans des coquelicots,
Une enfant bestiale et brûlée
Qui suce, en blaguant les échos,
        De juteux abricots.

Livrer aux langueurs des soirées
Sa toison où du cristal luit,
Pourlécher ses lèvres sucrées,
Nous barbouiller le corps de fruits
        Et lutter comme essui !"

Ce garçon, voyez, eh bien, on peut se demander s'il avait bien les pieds sur terre. Ceci dit, le titre de cette fantaisie à toison est Complainte des nostalgies préhistoriques. Ce n'est pas seulement l'en-dehors de la pluie, c'est aussi son antan.

10.
Dans la même Complainte, cette expression :

"Se raser le masque" ; c'est que l'on ne se rase pas le soi : il reste hirsute, et si préhistoriquement nostalgique.

11.
La nostalgie n'est pas dans le regret d'un temps passé, elle est dans le regret d'un temps perdu ; c'est en cela que la nostalgie est pré-historique.

12.
Si l'on en croit François Truffaut, dans L'Histoire d'Adèle H., la dernière parole de Victor Hugo fut : "Je vois une lumière noire". Une lumière noire, une lumière préhistorique, une lumière d'avant la lumière.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 20 janvier 2013

 

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