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BLOG LITTERAIRE
22 février 2013

CE SALAUD D'ULYSSE

CE SALAUD D'ULYSSE
Notes sur les scènes 3,4,5 de l'acte I de la tragédie Iphigénie, de Racine.

1.
Résumés des scènes 3,4,5 de l'acte I.
Dans la scène 3 de l'Acte I, Ulysse fait remarquer à Agamemnon que, pour l'instant, Achille est déterminé à participer au siège de Troie (vers 277-280). Opposé à l'abandon de la campagne des Grecs contre les Troyens, il rappelle à Agamemnon son devoir d'homme d'Etat (vers 285-288) et qu'il aurait tout à craindre en désobéissant aux dieux (vers 293-295) ; il lui rappelle aussi combien les Grecs sont attachés à l'honneur d'Hélène (vers 299-306) et enfin que les rois de toute la Grèce ont laissé enfants et femmes et sont prêts, pour le servir, à verser tout leur sang (vers 309-320). A ce discours, Agamemnon répond que si Iphigénie arrive en Aulide, elle sera sacrifiée, mais que si elle est retenue à Argos, il renoncera à sacrifier sa fille.
La scène 4 annonce l'arrivée de Clytemnestre et d'Iphigénie, accompagnée d'Eriphile.
Dans la scène 5, Agamemnon commence par déplorer son sort (vers 361-368). Ulysse semble compatir à son chagrin (vers 369-379) puis lui fait valoir l'honneur d'une victoire sur Troie (vers 380-388). Dans les derners vers de l'acte I, Agamemnon semble décidé à sacrifier Iphigénie et à détourner l'attention de la reine Clytemnestre.

2.
"Hélas !" : Le "soupir" d'Agamemnon. Se serait-il contenté de ce soupir, puis aurait-il décidé soit de sacrifier Iphigénie, - et de n'être plus désormais que le pantin des dieux -, soit de défier le devin Calchas, l'ordre des dieux et les ruses d'Ulysse, alors il serait réellement devenu ce roi de douleur que réclame la tragédie.

3.
"Croirai-je qu'une nuit a pu vous ébranler ?"
(I, 3, vers 283 [Ulysse à Agamemnon])

Le roi des rois doit pouvoir traverser les flammes des temps.

4.
"Songez-y. Vous devez votre fille à la Grèce"
(I, 3, vers 285 [Ulysse à Agamemnon])

Les êtres d'Etat doivent jusqu'à leur propre sang.

5.
"Quand la Grèce, déjà vous donnant son suffrage,
Vous reconnaît l'auteur de ce fameux ouvrage;
Que ses rois qui pouvaient vous disputer ce rang
Sont prêts, pour vous servir, de verser tout leur sang.
Le seul Agamemnon, refusant la victoire,
N'ose d'un peu de sang acheter tant de gloire ?
Et dès le premier pas se laissant effrayer,
Ne commande les Grecs que pour les renvoyer ?"
(I, 3, vers 313-320 [Ulysse à Agamemnon])

Ulysse dans toute sa ruse : ce sang versé, ce "peu de sang", qui ne serait rien en compensation de "tant de gloire", c'est celui des rois de toute la Grèce, mais c'est aussi celui d'Iphigénie, puisque la guerre de Troie n'aura lieu que si le Roi des rois accepte de sacrifier sa fille. Ainsi, le rusé Ulysse, en plaçant la discussion sur le terrain de l'honneur guerrier, tente de faire accepter par Agamemnon la nécessité du sacrifice de sa fille. Ah certes, il est bien bon, Ulysse ! "d'un peu de sang" qu'il dit, résumant ainsi Iphigénie à un verre que l'on brise pour sceller une union, et les guerriers grecs à de la chair à canon (que l'on me pardonne cet anachronisme, c'est que l'écho "union / canon" me plait bien). L'expression "d'un peu de sang", quand on y songe, est ici assez curieuse comme si le sang d'Iphigénie, par le sacrifice, se confondait avec sa valeur symbolique, et donnait tout son sens à une vie devenue en soi inutile. Comme si la métaphore l'emportait sur le vivant, comme si la métonymie vampirisait littéralement le vivant. "d'un peu de sang", c'est le dépucelage de l'horreur qu'Ulysse propose à Agamemnon, lequel devrait, évidemment, lui faire rentrer immédiatement ce "d'un peu de sang" dans la gorge. Mais justement, Agamemnon n'est jamais qu'un devrait. Du reste, qu'Agamemnon accepte ce postulat "d'un peu de sang" pour "autant de gloire", et il se prépare un avenir de dictateur, de Néron, de Caligula, d'empereur fou.

6.
"Et qui de son destin, qu'elle ne connaît pas"
(I,4, vers 347 [Eurybate à Agamemnon])

Ainsi est présentée Eriphile, celle que la reine Clytemnestre "amène aussi", celle qui ne connaît pas son destin et entre ainsi dans le labyrinthe.

7.
"Et déjà de soldats une foule charmée,
Surtout d'Iphigénie admirant la beauté,
Pousse au ciel mille voeux pour sa félicité."
(I, 4, vers 350-52 [Eurybate à Agamemnon])

Iphigénie est fatalement belle. C'est sans doute cette beauté qui la condamne. Les dieux punissent ainsi l'orgueil des humains. Iphigénie est belle comme Hélène est belle. Si les humains sont prêts à s'entretuer pour la possession de l'une, pourquoi les dieux n'exigeraient pas l'autre en sacrifice ? Ainsi, le tourment du guerrier a son origine dans la beauté des femmes. Ce qui est à la fois dérisoire, machiste, stupide. Mais c'est aussi cette promotion de la beauté au rang de levier du monde qui en compense, en la soulignant, la cruauté originelle. C'est là l'origine des fascinations.

8.
"Triste destins des rois ! Esclaves que nous sommes
Et des rigueurs du sort, et des discours des hommes"
(I,5, vers 365-66 [Agamemnon])

Faut le faire tout de même : roi du monde antique, se comparer à un esclave. C'est qu'Agamemnon se refuse à défier les dieux. Il refuse ainsi son être tragique, et se montre pitoyable. Ulysse use avec justesse de l'adjectif qui convient le mieux à ce roi si peu combattif :

"Je suis père, Seigneur. Et faible comme un autre"
(I,5, vers 369 [Ulysse à Agamemnon])

9.
"Pleurez ce sang, pleurez ; ou plutôt, sans pâlir,
Considérez l'honneur qui doit en rejaillir."
(I,5, vers 379-80 [Ulysse à Agamemnon])

Franchement, Ulysse tend le bâton pour se faire battre. Comment ne pas penser que ce n'est pas "pleurer ce sang" qu'il convient ici de faire, mais de faire, à Ulysse, pleurer son propre sang ? Quant à "l'honneur qui doit en rejaillir", Agamemnon devrait faire savoir au subtil Ulysse qu'il peut se le carrer dans le fondement, mais il ne le fera pas, car ce n'est pas du tout, du tout, du tout dans le style noble, et pompeux des fois, que l'on demande au théâtre tragique du XVIIème siècle.

10.
"Seigneur, de mes efforts je connais l'impuissance.
Je cède, et laisse aux dieux opprimer l'innocence."
(I, 5, vers 389-90 [Agamemnon à Ulysse])

Agamemnon est celui qui cède. Le roi des rois ne cesse de se plier, et s'il semble décider quelque chose, c'est au conditionnel : si Iphigénie vient, elle sera sacrifiée ; si elle ne vient pas, elle sera sauve. Ainsi s'en remet-il plus au hasard qu'à sa propre volonté. Ainsi en vient-il à accepter l'injustice du sort.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 22 février 2013

 

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