Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BLOG LITTERAIRE
3 mars 2013

QUELQUES NOTES ENCORE SUR IPHIGENIE

QUELQUES NOTES ENCORE SUR IPHIGENIE
A propos de la tragédie Iphigénie, de Racine.

"CLYTEMNESTRE. - Quel est donc ce mystère ? tu peux t'étonner encore de mes discours, car les tiens ne m'étonnent pas moins.
ACHILLE. - Cherche ce que cela signifie ; nous sommes intéressés tous deux à le chercher ; peut-être avons-nous été l'un et l'autre abusés par des mensonges."
(Euripide traduit par Nicolas-Louis Artaud, Iphigénie à Aulis, Troisième Episode, in tome II des Tragédies d'Euripide, Paris, Lefèvre et Garnier Frères, 1842).

1.
"Jamais jour n'a paru si mortel à la Grèce.
Déjà de tout le camp la discorde maîtresse
Avait sur tous les yeux mis son bandeau fatal,
Et donné du combat le funeste signal."
(V, 6, vers 1733-1736 [Ulysse à Clytemnestre])

La guerre civile est, littéralement, une guerre d'aveugles. Les Grecs ne se reconnaissent plus eux-mêmes.

2.
"A peine son sang coule et fait rougir la terre,
Les dieux font sur l'autel entendre le tonnerre"
(V, 6, vers 1777-78 [Ulysse à Clytemnestre])

Le sang qui coule du coeur d'Eriphile coïncide avec la levée des vents. C'est évidemment l'oeil du mythe qui voit dans cette coïncidence un rapport de cause à effet. Je ne suis pas absolument certain que Racine ait ce même oeil mythologique. Je devine dans ses vers un regard plus critique, voire railleur. Certes, le "soldat étonné" du vers 1785 qui "dit que dans une nue / Jusque sur le bûcher Diane est descendue" (appréciez l'assonance "u", mimant quelque son étrange accompagnant la visite de la déesse, le gémissement du vent peut-être qui souffle sur la mer), ce "soldat étonné" est peut-être un  soldat générique, qui désigne ainsi tous les soldats, mais il n'est peut-être aussi qu'un illuminé, un pris de vision, un enthousiaste, un de surcroît c'est-y pas vrai que. De plus, ce n'est pas le devin Calchas qui procède au sacrifice, mais Eriphile qui se tue elle-même, court-circuitant ainsi tout rituel.

3.
D'une édition de poche à l'autre, les majuscules des dieux tombent, passant ainsi du statut de transcendances à celui de signifiants, d'acteurs, de masques poétiques. En fin de compte, c'est comme cela qu'ils sont les plus vivants. Sans le Livre, pas de Dieu.

4.
"Les dieux font sur l'autel entendre le tonnerre"
(V, 6, vers 1778 [Ulysse à Clytemnestre])

Je ne me lasse pas de ces allitérations percussives. C'est pour la même raison que j'aime le jazz, pour ces rythmiques, ce battement du monde dans l'être du poème.

5.
"Tout s'empresse, tout part. La seule Iphigénie
Dans ce commun bonheur pleure son ennemie."
(V, 6, vers 1789-90 [Ulysse à Clytemnestre])

Le sacrifice a remis le monde en mouvement. L'armée grecque déjà s'empresse, se prépare au départ. L'expression "la seule Iphigénie" est signifiante. Puisqu'elle a perdu son double, elle est "seule" maintenant. En perdant Eriphile, Iphigénie a perdu son inversion, sa soeur ennemie, la part obscure d'elle-même, la tentation de l'ombre.

6.
Iphigénie et Eriphile ont en commun d'avoir aimé le même homme. Sans cette fascination pour Achille, Eriphile aurait pu être une fort efficace espionne des Troyens dans le camp des Grecs. La jalousie l'a emporté sur son patriotisme. Quelle horreur ! Pas étonnant qu'elle se soit trucidée !

7.
Dans le récit final d'Ulysse, la levée des vents anime la mer, cet ailleurs absolu des tragiques, cet être du lieu qui n'en finit pas de nourrir leurs rêves, cet infini que les humains cherchent à parcourir et qui leur permet d'aller d'une légende à une autre.

8
En substituant Eriphile à Iphigénie, les dieux ont débarrassé les Grecs d'une énigme. Eriphile, c'était l'inconnue, l'imperceptible péril, la bombe à retardement, l'oeil de l'autre.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 3 mars 2013

 

Publicité
Publicité
Commentaires
BLOG LITTERAIRE
Publicité
Archives
Albums Photos
Publicité