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BLOG LITTERAIRE
9 mars 2013

CE SOURIRE QU'IL A LE LOUP AVANT DE VOUS EGORGER

CE SOURIRE QU'IL A LE LOUP AVANT DE VOUS EGORGER

1.
"Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ?"
(Rimbaud, Qu'est-ce pour nous, mon coeur...)

"remuer des tourbillons de feu furieux" : l'image est expressive. On s'imagine bien l'Arthur halluciné pâle enroulant autour d'un bâton quelque feu tourbillonnant. Voilà qui fait torche. Il ne serait pas tout seul, puisqu'ils sont "nous", qu'il dit, le bouteur, "nous" et même "ceux que nous nous", à agiter ainsi la sifflante d'un "feu furieux" et fraternel. Il y a de la poussée dans ces vers, au sens où l'on dit qu'une armée poursuit sa poussée :

"Qui remuerait / les tourbillons / de feu furieux"

C'est régulier comme une troupe en marche, et qui s'accélère - les pas des fantassins, ces monosyllabes, et puis l'élan de l'en-avant, la charge :

"Que nous et ceux que nous nous / imaginons frères ?"

La charge, dis-je. Certes, il se peut qu'on s'imagine des choses, des frères qui n'existent que parce que l'on écrit des poèmes.

2.
La mort, c'est lorsque le réel reprend le dessus.

3.
"Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte."
(Rimbaud, Enfance, III, "illuminations")

Je me fais souvent avoir par les images. Je ne vois pas le sens exact de cette fantaisie. Du reste, peu importe. C'est de l'eau à reflets qui remue doucement dans la boîte à images. La face plissée d'une cathédrale, quelques gargouilles, et les cinq notes des monosyllabes. Deux parties dans cette phrase:

"Il y a une cathédrale qui descend / et un lac qui monte."

On dirait quasi du contrepoint : la nasale "an" de "descend" étant plus ouverte que le "on" de "monte", ce qui "descend" phonétiquement monte, et ce qui monte phonétiquement descend. Tout ça prenant appui sur l'assonance "a" et le relatif "qui".

4.
"Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons"
(Rimbaud, Le Buffet)

Fait ses gammes, l'Arthur... il en met du sifflement, du "fouillis" à "chiffons de femmes ou d'enfants", du flétri, du fichu, du griffon. Le "f" et le "v" sont toutes deux labio-dentales. Cousines qui sifflent. Vrai, on n'imagine pas un buffet aussi sifflant. C'est qu'il y a hantise dans ce "fouillis des vieilles vieilleries", même qu'il assone drôle du "i" et yode aussi ; hantise  à cause que le "plein", c'est le "peint". Là est le mystère : dans l'apparition... que viennent faire ces "griffons" peints sur les "fichus de grand'mère" ? Font ressurgir le passé, ces griffons, évoquent le "tu sais bien des histoires" qu'on suppose aux choses qu'ont vu des êtres.

5.
"Je devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de bonheur : l'action n'est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque force, un énervement. La morale est la faiblesse de la cervelle."
(Rimbaud, Une saison en enfer, "Délires II, Alchimie du Verbe").

Réglement de comptes... Que "tous les êtres" aient "une fatalité de bonheur" n'est pas douteux. Y a qu'à voir. Tous et toutes aspirent au bonheur, travaillent à leur bonheur, s'en mettent des trucs sur le dos pour y avoir droit, à leur sacré bonheur, leur maison, leur foyer, leurs enfants qui leur donnent tant de satisfactions, leurs amis, leurs loisirs, leurs vacances, leur compte en banque, leur réputation, et puis quel alibi, le bonheur ! Quelle légitimité soudaine du tube digestif et de tous les égoïsmes ! Et comme l'état critique est l'état normal de toute économie, que d'efforts donc, que de gâchis, que d'énervements pour s'en sortir, que d'actions, de mouvements, que de vertige des moyens (est-ce bien une expression sartrienne ou est-ce que ma mémoire me joue des tours ?). Encore si l'on ne faisait pas dans la sympathie, le copain-copine club, l'odieuse empathie, le "care" et toutes ces altruistes foutaises, si l'on reconnaissait en l'autre non pas un être à aimer (beuark !), mais une conscience aigüe du réel, un "opéra fabuleux" où se déjouent tous les masques,  alors on pourrait flanquer un coup de pied au fondement de la morale, l'envoyer balader, la vieille faiblesse des civilisations, ce sourire qu'il a le loup avant de vous égorger.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 9 mars 2013

 

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