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BLOG LITTERAIRE
12 mars 2013

DANSENT DANS

DANSENT DANS

1.
"Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles."
(Rimbaud, Bannières de mai)

Echos d'une chasse. C'est drôle parce que "La Chasse spirituelle" est le titre d'un "manuscrit retrouvé" de Rimbaud dont il est généralement admis qu'il s'agit d'un faux. Est-ce que le, la, les faussaires se seraient inspirés de ces quatre premiers vers des Bannières ? En tout cas, ça fait son, ça, cette modulation du son "eu" (yod + "eul" // "meur") et puis les cris des veneurs dans les assonances du "maladif hallali". Notons qu'à ces cris s'opposent les "chansons spirituelles", lesquelles "voltigent" ; c'est qu'on est ivre déjà du vin à venir:

"Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevêtrer les vignes."
(Bannières de mai)

2.
"Et comme il savourait surtout les sombres choses"
(Rimbaud, les Poètes de sept ans)

La sifflante "s" souligne le venin. Du serpent passe... l'ombre sournoise. On dirait pas comme ça, mais nous croisons des gens, des fois, sont pleins de serpent. Ici, c'est un môme ; c'est fréquent chez les mômes d'avoir de l'attirance pour le pas beau pas bien. Je me demande si ça peut tourner fascination. Y a pas de raisons pour que pas. Ceci dit, je suppose qu'il faut des conditions particulières, du psycho-social, du lourd entourage, du pathologique, du malsain. Ici, c'est son roman, le môme, qu'il médite :

"Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !"
(Les Poètes de sept ans)

C'est du panorama... de l'halluciné paysage. L'humain y serait de la pitié, de la déroute aussi, du vertige et de l'écroulement .

3.
"L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !"
(Rimbaud, Le Bateau ivre)

Une modernité un peu canaille abrégerait le vers en "l'âcre amour m'a gonflé". Après, c'est la fascination entre les deux dentales "t", et la répétition de la nasale "an". C'est que le vers en se nasalisant, en prenant appui sur les percussions des consonnes ("âcres", "gonflé de", "torpeurs enivrantes") se gonfle, en effet, comme un navire qui se gorgeant d'eau, ou s'enfumant de quelque feu de l'intérieur, finirait par "éclater", envoûtée coque de noix, possédée, entravée par l'occlusive ("que", "qui", "éclate", "que"), et dont l'âme, cette langue de la prosopopée qui agite et les morts, et les vifs, prenant son élan sur la planche du "Ô que", plongerait dans les voyelles ouvertes du subjonctif et de la mer. Plouf.

4.
"- Calmes maisons, anciennes passions !"
(Rimbaud, Bruxelles)

Veut-il dire par là que les maisons sont d'autant plus calmes que les passions y sont anciennes, et donc quelque peu émoussées ? En tout cas, le point d'exclamation confère au vers un air de maxime assenée, de réplique.

5.
"Au coeur d'un mont comme au fond d'un verger
Où mille diables bleus dansent dans l'air !"
(Rimbaud, Bruxelles)

A cause peut-être des vers :

"Banc vert où chante au paradis d'orage,
Sur la guitare, la blanche Irlandaise."

Je lis ce poème, "Bruxelles", comme si c'était une sorte de chanson loufoque. C'est que ça sonne : "Plates-bandes d'amarantes jusqu'à" ; "Quelles / Troupes d'oiseaux ! ô iaio, iaio !..." ; " - La Juliette, ça rappelle l'Henriette", et que ça s'exclame ! - Huit points d'exclamation tout de même.
Ainsi, les nasales "on" reliées entre elles, et comme prolongées par la modulation du "o" ("d'un mont comme au fond"), et encadrées par les sons ouverts "eur" et "er" ("coeur", "verger").
Ainsi, ce jeu de la labiale "b" et de la liquide "l" qui, en estompant le hiatus " -bles bleus", souligne l'accent de la syllabe "dia", et donc la dentale "d", que l'on retrouve dans la séquence "dansent dans", laquelle est remarquable par la répétition de la séquence "d" + "an", de telle sorte que les sons [diabl] et [dans] cadencent d'autant plus le vers qu'ils sont suivis d'un "e" estompé par la consonne suivante :

"Où mille diabl(es) bleus dans(ent) dans l'air"

Donc, les consonnes "b" et "s" soulignent respectivement les accents de la quatrième et de la sixième syllabe et donnent au vers un air de voltige en effet, de virevolte genre flocons de neige, sauf qu'ici, ce sont des "diables bleus".

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 mars 2013

 

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