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BLOG LITTERAIRE
13 mars 2013

TOHUS-BOHUS ET ELECTRIQUES LUNULES

TOHUS-BOHUS ET ELECTRIQUES LUNULES

1.
"Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux"
(Rimbaud, Les Pauvres à l'église)

Oui qu'ça gueule, oh qu'ça heurte, qu'ça palatalise "gueu", "que", qu'ça nasalise "un", "an". Un supplice, à en faire sortir le Démon lui-même, effrayé des dissonances.

2.
"Happent le jambon aux fourchettes / Tant, tant et plus"
(Rimbaud, Les Réparties de Nina)

Bon, moi j'aime bien ces vers, à cause du jambon (que ça me fait penser aux pâtes au gratin, avec du jambon dedans et du fromage rapé) et puis, le monosyllabique "tant, tant et plus" qui suggère le mouvement de la fourchette de l'assiette à la bouche, moi ça me convient.

3.
"Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines..."
(Rimbaud, Roman)

La dentale "t" fait trotter les "petits bottines" de la "demoiselle aux petits airs charmants" - le genre de demoiselle que ma mère appelait "une petite jeune fille" - du coup (l'oeillade qu'elle vous lance), ça fait contraste avec le long "immensément" (quatre syllabes, deux nasales). Les vers sifflotent aussi du "f" et du "v", des airs qui "meurent", des "cavatines", lesquelles, nous dit le docte, sont de doux airs brefs pour solistes d'opéra.

4.
"Je suis le saint, en prière sur la terrasse, - comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de Palestine."
(Rimbaud, Enfance, IV)

Je suppose que le "s" psamoldie. Il ouvre aussi les espaces sur l'ailleurs, ce "s" du "saint" et des "bêtes pacifiques". Il poursuit sa route.

5.
"Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants."
(Rimbaud, Le Bateau ivre)

L'assonance "u" contamine la strophe. Exaltation, cri du sauvage, souffle du coureur, sirène du navire, qui culmine dans le quatrième vers.

6.
Les tohus-bohus triomphants, voilà qui m'évoque les rythmes du jazz.

7.
"Les parfums ne font pas frissonner sa narine"
(Rimbaud, Le Dormeur du val)

Négation : le "f" et le "s" suggèrent un frisson fantôme, le passage de l'air sur le cadavre du jeune soldat.
Le mot "parfums" est mélioratif : la nature évoquée dans ce poème du val est lumineuse, chantante, elle est même personnifiée, protectrice (cf "Nature, berce-le chaudement : il a froid"). Le soldat mort est donc chassé d'une sorte de paradis.

8.
"et notre patois étouffe le tambour."
(Rimbaud, Démocratie)

L'étouffement ralentit le rythme du tambour, semble le rompre aux huitième et neuvième syllabes, le désorganise en tout cas par l'emploi des constrictives "f" et "l" qui suspendent la percussion des occlusives "p", "t", et "b".

9.
"Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs"
(Rimbaud, Le Bateau ivre)

C'est le "bateau perdu sous les cheveux des anses" qui jacte ainsi, qui produit ce drôle de son, "lunules", qui, à mes oreilles pleines encore des sons continus que Jimi Hendrix tira de sa guitare, sonne comme une note tenue jusqu'à la liaison avec la modulation "élec" et la pause de la virgule après la note brève ("triques").
Guitare dis-je, c'est que les sons se répondent étrangement : ainsi le "e" à la césure : drôle de rythme qui souligne aussi le "e" final de "lunules" :

Qui courais / taché de / lunules / électriques

Ainsi, le "i" au début et à la fin du vers (cf "qui", "électriques") que l'on retrouve au vers suivant sur la syllabe initiale du mot "hippocampes", lequel, en nombre de syllabes, répond à l'épithète "électriques", et ce "e" muet encore que la métrique met en évidence ("hippocampes noirs").
Ainsi, la modulation "rais / ché / el / ec / es / é / des" qui concurrence le "e" muet et triomphe dans le rythme binaire du troisième vers :

"Quand les juillets / faisaient / crouler / à coups / de triques".

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 12 mars 2013  

 

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