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BLOG LITTERAIRE
29 mars 2013

MACHINATIONS

MACHINATIONS

1.
"Dans un trou du plafond la trompette de l'Ange
Sinistrement béante ainsi qu'un tromblon noir."
(Baudelaire, Danse macabre)

"Dans un trou du plafond" : la masure est insalubre ; l'air y passe. C'est la cervelle aussi peut-être ; avoir un trou dans le plafond, cela sied à celui qui se sent aspiré par en-haut, l'en-haut, le horla de l'en-haut.
Qu'un Ange y joue de la trompette, rien de plus normal. Chacun sa musique. Les aspirés aussi en ont une donc de petite musique, qu'ils entendent pour eux. Ironiquement, c'est de la musique soufflée (cela aurait pu être de la musique grattée, frottée, ou frappée). C'est peut-être la trompette elle-même qui troue, qui trille et traque, qui truite et troque la raison contre un tromblon. Elle en pousse, c'te trompette, des "an" et des "on" ("plafond", "trompette", "Ange", "sinistrement béante", "tromblon"), encadrée par deux monosyllabes qui ont l'air de se faire mauvais signe ("trou", "noir"). Plouf.
Le "trou", c'est le "noir". Là où l'on jette des osses au molosse des ténèbres. Les osses, c'est nos carcasses. Le molosse, c'est le "Grand Macabre", pour parler comme Ghelderode, le "Grand Macabre", le bouffe-tout-cru du trou noir des trous noir. On y change les trompettes des anges en tromblons noirs. Et l'oeil aigu voit dans le réel partout s'allonger des "sinistrement béantes", des trous dans tous les plafonds, ceux d'en haut, d'en bas, d'en dedans, d'en hier, d'en d'ici, d'en d'ici quelques temps, d'en mon oeil.

2.
"Machine aveugle et sourde, en cruautés féconde !"
(Baudelaire, "Tu mettrais l'univers entier...")

La "Machine" : un noeud, la machine, de causes et d'effets. La "Machine", c'est le golem, l'industrie commandée par la voix. Le monde se peuple de machines, et songeons que les pays les plus développés sont les plus machinés.

Littéralement, la civilisation est une machination.

Notons que, dans ce vers de Baudelaire, le mot nature aurait pu remplacer le mot "machine".

Donc, chez Baudelaire, la Machine est "aveugle et sourde". C'est une force là. Un enchaînement de "e muets" :

"Machi - / -ne aveu - / -gle et sour - / -de".

Le binaire lui va bien : la Machine est un ordre de marche.

Qu'elle puisse être "en cruautés fécondes" est une hyperbole, une manière de réifier l'autre, de le machiner, d'assimiler sa conscience à un programme de la même façon que les idéalistes pensent que, nécessairement, l'instruction rend les gens meilleurs moralement. Ce qui va tellement de soi que c'en est probablement faux. Elle ne les rend pas meilleurs, elle les rend plus malins.

Que la Machine soit aussi cruelle et féconde que la nature, tisse entre ces deux pôles un lien indestructible : celui de la croissance, de la production à l'infini. La Machine ne tue pas la nature, elle la relaie.

3.
"Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis"
(Baudelaire, "Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne")

Vrai, c'est du Racine, ce vers de Baudelaire. Jeune femme en cheveux et toge blanche qui s'esquive par les couloirs d'un palais hanté.

Pourquoi hanté ? Parce que la souvenance des monstres y émiette ses échos.

Supprimez les virgules ; vous obtenez :

"Et t'aime d'autant plus belle que tu me fuis"

Plus est fuit, plus elle est belle. Les désirs les plus beaux. Les objets les plus beaux. Les femmes les plus belles. Et vous vous mettez à courir après elle dans le labyrinthe, et vous tombez sur un nain avec une hache.

Patrice Houzeau
Hondeghem, le 29 mars 2013

 

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